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Car c’est lorsqu’il l’appela « Marie » qu’elle le reconnut. Ainsi elle le reconnut, non au visage, mais à la voix.

Mais, direz-vous, d’où paraît-il que les anges aient eu de la frayeur, et que ce soit pour cela que Marie se tourna vers eux ? Vous aurez ici la même raison pour dire : par où voit-on que Marie toucha Jésus et se jeta à ses pieds ? Mais si l’une de ces choses résulte évidemment de ces paroles de Jésus : « Ne me touchez pas (47) » ; de même, ce que rapporte l’évangéliste, qu’elle se tourna, prouve clairement l’autre.

2. Pourquoi Jésus dit-il : « Ne me touchez pas ? » Quelques-uns répondent que Marie demandait la grâce spirituelle, « le don du Saint-Esprit », parce qu’elle lui avait entendu dire à ses disciples : « Si je m’en vais à mon Père, je le prierai, et il vous donnera un autre Consolateur ». (Jn. 14,16) Et comment Marie, qui n’était point avec les disciples, aurait-elle pu entendre ces mots ? Mais de plus, c’est là une pure imagination qui est fort éloignée du vrai sens de ces paroles. Comment demanderait-elle cette grâce, Jésus n’étant pas encore allé à son Père ? Que faut-il donc répondre ? Je crois que Marie voulait encore demeurer avec Jésus comme auparavant, et que dans sa joie elle n’atteignait point à la hauteur de la vérité, quoique, Jésus fût, selon la chair, ans un état beaucoup plus parfait. Le Seigneur corrige donc son erreur et réprime cet excès d’assurance ; et, en effet, on ne voit pas qu’il ait conversé sur ce ton avec ses disciples eux-mêmes : il élève son esprit afin qu’elle approche de lui avec plus de respect et de vénération.

Si donc Jésus avait dit : N’approchez pas de moi comme auparavant, les choses ne sont plus dans le même état, et je ne dois pas converser de la même manière avec vous dans la suite ; cette réponse aurait paru vaine et fastueuse. Mais celle-ci : « Je ne suis pas encore monté vers mon Père (17) » ; quoique plus douce, signifie là même chose, car en disant : « Je ne suis pas, encore monté », il déclare qu’il se hâte d’y monter et que c’est ce qu’il prétend faire incessamment ; or il ne fallait pas regarder du même œil qu’auparavant celui qui allait monter au ciel et qui ne devait plus demeurer avec les hommes. Ce qui suit fait voir qu’en effet c’est là le vrai sens de ces paroles : « Allez, ne vous arrêtez pas à me toucher, dites à mes frères que je vais monter vers mon Père qui est votre Père, vers mon Dieu qui est votre Dieu ». Cependant il n’allait pas sitôt y monter, mais seulement après quarante jours. Pourquoi lui parle-t-il donc de la sorte ? C’est pour élever son esprit et lui donner la certitude qu’il devait monter au ciel. Et ces mots : « Vers mon Père et votre Père ; vers mon Dieu et votre Dieu », regardent l’incarnation : comme quand il dit monter, c’est de sa chair qu’il le dit. Et Jésus parle ainsi à Marie, parce qu’elle n’avait pas encore de lui des sentiments dignes de sa majesté. Dieu est-il donc le Père de Jésus d’une manière, et notre Père d’une autre manière ? Sûrement. S’il est d’une autre manière le Dieu des justes, qu’il ne l’est du reste des hommes, à plus forte raison est-il le Dieu du Fils d’une manière, et d’une autre notre Dieu. Ainsi quand il a dit : « Dites à mes frères », de peur qu’ils ne concluent de là à quelque égalité, il met une différence ; car Jésus-Christ doit s’asseoir sur le trône de son Père, et eux doivent se tenir debout devant ce trône. C’est pourquoi, encore que, selon sa substance charnelle, il soit devenu notre frère, il est pourtant bien différent de nous en dignité, et on ne peut même exprimer la grandeur de cette différence.

« Marie vint donc dire aux disciples qu’elle avait vu le Seigneur et qu’il lui avait dit ces choses (18) » : Tant est grand le bien que produit l’assiduité et la persévérance ! Mais pourquoi les disciples, ne s’affligèrent-ils pas en apprenant que leur Maître s’en irait bientôt et ne dirent-ils pas les mêmes choses qu’ils avaient dites auparavant ? Alors ils s’attristaient et ils pleuraient parce qu’il allait mourir ; maintenant qu’ils apprennent qu’il est ressuscité, de quoi s’affligeraient-ils ? Marie annonça aux disciples qu’elle avait vu le Seigneur ; elle leur rapporta ses paroles qui étaient bien propres à les consoler. Mais comme il était à présumer que les disciples, entendant ce rapport, ou ne croyaient point cette femme, ou, s’ils la croyaient, verraient avec peine que Jésus ne les eût pas honorés de sa vision, après la promesse qu’il leur avait faite de se faire voir à eux en Galilée (Mt. 28,10) ; de peur donc que, repassant ces choses dans leur esprit, ils ne tombassent dans la tristesse et dans l’affliction, le divin Sauveur ne laisse même pas passer le jour : mais, par la nouvelle de la résurrection et par le récit de cette femme,