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avait pressenti ce qui allait se passer, et pour cela même il s’était longtemps à l’avance muni d’une épée. Que si vous dites encore comment celui à qui il était défendu de donner un soufflet, se porte-t-il à commettre un homicide ? Sans doute il lui était défendu de se venger ; mais en cette occasion Pierre ne se venge point, il venge son Maître. À quoi on peut ajouter que les apôtres n’étaient pas encore parfaits, ni consommés dans la vertu. Pour vous, si vous voulez voir Pierre dans cette haute et sublime philosophie, suivez-le ; vous le verrez dans la suite, déchiré de coups de fouets, et accablé de mille maux, sans ouvrir la bouche, sans même s’émouvoir. Mais Jésus fait encore ici un miracle, pour vous apprendre qu’il faut faire du bien à ceux qui nous font du mal, et pour manifester sa vertu et sa puissance, il rétablit donc l’oreille de ce serviteur, et dit à Pierre : « Tous ceux qui se serviront de l’épée, périront par l’épée ». (Mt. 26,52) Comme dans le lavement des pieds, Jésus-Christ arrêta son esprit vif et bouillant par des menaces, il fait de même présentement. L’historien ajoute le nom du serviteur, parce que c’était là une grande chose, non seulement de l’avoir guéri, mais encore d’avoir guéri un homme qui peu après lui devait donner un soufflet ; et aussi d’avoir par là tout à coup éteint la guerre qui allait s’allumer contre ses disciples. L’historien a donc mis son nom, afin que ceux qui liraient son histoire pussent s’informer du fait et en découvrir la vérité ; et ce n’est pas sans raison qu’il marque que Pierre abattit l’oreille droite ; mais, comme je le crois, c’est pour montrer l’emportement de cet apôtre, puisque peu s’en fallut qu’il ne portât le coup sur la tête.
Mais Jésus ne se contenta pas de retenir Pierre par ses menaces, il le consola aussi par ces autres paroles : « Ne faut-il pas que je boive le calice que mon Père m’a donné (11) ? » Par où il fait voir que ce qu’ils faisaient, il ne fallait pas l’attribuer à leur puissance, mais à sa permission ; et il déclare qu’il n’est point contraire à Dieu, mais qu’il lui est obéissant jusqu’à la mort. « Alors ils prirent Jésus et le lièrent (12), et ils l’amenèrent chez Anne (13) ». Pourquoi chez Anne ? ils se réjouissaient et ils exaltaient leur action, comme s’ils eussent remporté une grande victoire. « Parce qu’il était beau-père de Caïphe, et Caïphe était celui qui avait donné ce conseil aux Juifs, qu’il était utile qu’un seul homme mourût (14) ». L’évangéliste nous rappelle la prophétie et la produit, afin de nous faire connaître que tout cela s’est fait pour notre salut ; et cette vérité, qui est si grande et si importante, nous est prédite par nos ennemis mêmes. De peur donc qu’on ne fût scandalisé d’entendre parler de liens, l’historien fait aussitôt mention de 1a prophétie, qui nous apprend que la mort de Jésus-Christ était le salut de tout le monde.
« Cependant Simon Pierre suivit Jésus, comme aussi un autre disciple (15) ». Quel est cet autre disciple ? C’est celui qui a écrit cet évangile. Et pourquoi ne se nomme-t-il pas ? Lorsqu’il dit qu’il s’est reposé sur le sein de Jésus (Jn. 21,20), il a raison de taire son nom, mais maintenant, pourquoi le supprime-t-il ? C’est sûrement pour le même sujet, puisqu’il raconte encore ici une belle action qui lui est glorieuse, qu’il suivait son Maître, tous les autres disciples ayant pris la fuite. Voilà pourquoi il tait son nom et met Pierre le premier. Il est cependant forcé de se faire connaître, pour vous apprendre qu’il a raconté avec plus d’exactitude que les autres ce qui s’est passé dans la maison du grand prêtre, puisque y étant entré, il avait tout vu. Voyez sa modestie et avec quelle adresse il écarte ce qui est à sa louange. Afin qu’on ne dise pas : Comment tous les autres s’étant enfuis, Jean est-il entré plus avant dans la maison que Pierre même ? il ajoute : « Il était connu du grand-prêtre ». Et il a soin de le marquer, afin que personne ne s’étonne qu’il ait suivi son Maître et ne loue son courage et sa fermeté.
Mais ce qui est surprenant, c’est que Pierre, qui était timide et craintif, soit entré dans la maison, lors même que ses collègues s’étaient tous retirés. L’amour de son Maître l’a attiré et l’a fait entrer. La crainte et la frayeur l’ont empêché d’entrer plus avant. L’évangéliste a marqué ces circonstances, pour nous préparer au renoncement de Pierre et nous donner plus de raisons de l’excuser. Ce n’est pas pour se relever ni pour se faire valoir que Jean a rapporté qu’il était connu du grand prêtre, c’est seulement parce qu’il avait dit qu’il était entré dans la maison seul avec Jésus, et afin que vous ne crussiez point qu’il avait fait une action d’un grand courage. Puis il montre par ce qui suit que Pierre serait aussi entré si cela lui