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aussi celle du Père. Car vous avez à observer que dès le commencement Jésus-Christ a parlé, tantôt comme pour enseigner et instruire, tantôt comme pour faire une recommandation ; il enseigne, il instruit par ces paroles : « Je ne prie point pour le monde » ; il recommande par celles-ci : « Je les ai conservés jusqu’à présent, et nul ne s’est perdu » ; et : « vous, mon Père, conservez-les » ; et encore : « Ils étaient à vous, et vous me les avez donnés » ; et derechef : « Lorsque j’étais dans le monde, je les conservais ». Mais on résout toutes ces difficultés en disant que le Sauveur a parlé de la sorte, pour s’accommoder à la faiblesse de ses auditeurs. Au reste, quand il a dit : « Il n’y a eu de perdu que celui qui était enfant de perdition », il a ajouté : « Afin que l’Écriture fût accomplie ». Quelle Écriture ? Celle qui avait prédit bien des choses de lui. Mais, néanmoins, Judas ne s’est pas perdu, afin que l’Écriture fût accomplie. Nous avons expliqué cela au long ci-dessus : Nous avons dit que c’est une façon de parler de l’Écriture, que de se servir d’expressions qui semblent marquer la cause, lorsqu’elles marquent seulement l’issue. Or, pour bien entendre l’Écriture, il faut faire attention à tout, examiner exactement toutes choses, et le caractère de la personne qui parle, et le sujet, l’idiome et l’usage de l’Écriture, sans quoi on tombe dans de grandes absurdités. « Mes frères, ne soyez point enfants en ce qui regarde la sagesse ». (1Cor. 14,20)
3. Il faut le suivre, cet avis de l’apôtre, non seulement pour acquérir l’intelligence des Écritures, mais encore pour bien régler sa vie. Les petits enfants ne sont pas curieux des grandes choses, mais ils admirent ce qui n’est d’aucun prix. Ils regardent avec un œil avide et plein de joie un char, des chevaux, un cocher, des roues, le tout en argile. Mais si l’empereur vient à passer sur un chariot d’or, attelé de mulets blancs, et pompeusement orné, ils ne le regardent même pas. Ils habillent et parent avec soin des poupées ; mais qu’une belle personne se présente à leurs yeux, ils ne savent pas l’admirer : et ils font de même à l’égard de plusieurs autres choses.
Beaucoup de gens ne sont pas plus sages que ces enfants : parlez-leur des choses célestes, ils ne vous écouteront pas ; présentez-leur des objets de terre et de boue, ils les saisissent curieusement et avidement, comme les enfants ; ils admirent les richesses terrestres et s’y attachent ; ils font grand cas de la gloire et des délices de cette vie. Mais ce sont là de purs jouets, de vraies puérilités : au lieu que les choses célestes nous procurent véritablement la vie, la gloire et le repos. Et encore, comme les enfants pleurent, lorsqu’on leur ôte leurs poupées et leurs jouets, comme ils ne sont même pas capables de désirer les biens réels et véritables ; ainsi font et se conduisent beaucoup de ceux qui se croient des hommes. Voilà pourquoi l’apôtre dit : « Ne soyez pas enfants en sagesse ».
Vous aimez les richesses, dites-moi, et vous n’aimez pas celles qui sont stables et permanentes, mais de frivoles jouets d’enfants ? Ainsi, si vous voyez quelqu’un convoiter une pièce de monnaie de plomb[1], et se baisser pour la ramasser, vous jugez que c’est un homme bien pauvre ? Et vous, qui amassez des choses plus viles encore, vous vous mettez au rang des riches. Cela ne répugne-t-il pas à la raison ? Le vrai riche, c’est l’homme qui méprise toutes les choses présentes. Personne, en effet, non, personne ne se portera à rire et à se moquer de ces choses viles et abjectes, de l’argent, de l’or, et de tout ce qui n’a qu’un prix vain et imaginaire, s’il n’est embrasé de l’amour de ce qui est plus grand et plus relevé ; comme l’on ne méprisera point la monnaie de plomb, si l’on n’a des pièces d’or. Vous donc, lorsque vous voyez un homme passer, sans le regarder, devant toutes les choses d’ici-bas, croyez que ce dédain lui vient de ce qu’il a les yeux dirigés vers un monde supérieur. De même, si le laboureur sacrifie de bon cœur une petite portion de son blé, ce n’est que dans l’espérance d’une riche et abondante moisson. Si donc nous sacrifions ainsi ce que nous possédons, lors même que l’espérance du fruit est encore bien incertaine, nous devons à plus forte raison faire de même, lorsque le profit est assuré.
C’est pourquoi, je vous en prie et je vous en conjure, mes frères, ne nous faisons pas tort à nous-mêmes, et ne nous privons point, pour un peu de terre et de boue, des trésors du ciel, en amenant au port un vaisseau chargé de chaume et de paille. Blâme et censure qui voudra nos fréquentes exhortations : qu’on

  1. On trouve encore dans les cabinets des curieux de ces monnaies de plomb des anciens.