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quoi le Fils de Dieu répliqua : « Cela suffit ».
Pourquoi leur parlait-il alors d’épées, sinon pour leur faire mieux comprendre qu’il allait être bientôt livré ? Ce n’était que pour les assurer que son heure était proche, qu’il leur commanda de prendre avec eux une épée, et non pour les exhorter à s’en servir. Pourquoi voulait-il aussi qu’ils eussent alors une bourse ? C’était pour leur témoigner qu’ils devaient à l’avenir prendre soin d’eux-mêmes. Il les soutenait lui seul dans les commencements, parce qu’ils étaient faibles, mais il les traite maintenant comme de petits oiseaux que la mère fait sortir du nid, lorsqu’ils commencent à avoir des ailes, afin qu’ils s’en servent à l’avenir, et qu’ils cherchent eux-mêmes leur nourriture. Et pour leur faire voir plus clairement que ce n’était point par faiblesse ou par impuissance qu’il se déchargeait de ce soin pour les en charger eux-mêmes, il rappelle à leur mémoire tout ce qui s’était passé : « Quand je vous ai envoyés », dit-il, « sans sac, sans « bourse et sans souliers, avez-vous manqué de « quelque chose » ? Il veut qu’ils demeurent persuadés de son amour envers eux, et qu’ils reconnaissent, dans ce changement de sa conduite, sa tendresse et sa puissance ; en ce que d’abord il les a soutenus comme il a fait en prévenant tous leurs besoins ; et en ce que dans la suite, il les a peu à peu rendus capables de se soutenir eux-mêmes.
Mais comment ces épées se trouvaient-elles là ? C’est parce qu’ils sortaient de la cène, où, à cause de la cérémonie de l’Agneau, ils devaient avoir des glaives. Et comme ils avaient ouï dire que l’on conspirait contre leur maître, ils les prirent avec eux comme pour s’en servit’ au besoin, et pour le défendre. C’était la seule raison pour laquelle ils étaient armés alors de ces épées. C’est pourquoi Jésus-Christ fit un sévère reproche à saint Pierre, lorsqu’il s’en servit en frappant un des gens du grand prêtre, quoiqu’il, n’eût point d’autre dessein en le frappant que de défendre son maître qu’il aimait avec ardeur.
Jésus-Christ ne put souffrir qu’on eût ainsi blessé ce serviteur du grand prêtre, il le guérit à l’heure même par un grand miracle, qui suffisait seul pour témoigner d’un côté quelle était la douceur et la puissance de ce divin Maître, et pour nous donner lieu de l’autre de connaître quel était l’amour et l’humilité de ce disciple. Car comme il n’avait tiré l’épée que par l’amour extrême qu’il avait pour le Sauveur, il la remit dans le fourreau par soumission dès que Jésus-Christ lui eut dit « Remettez votre épée en son lieu » (Lc. 22,49). Saint Luc dit que les apôtres demandèrent à Jésus-Christ s’ils tireraient l’épée pour frapper, mais que Jésus-Christ les empêcha de le faire, et qu’il guérit celui qui était déjà blessé ; faisant en même temps une réprimande sévère à saint Pierre, afin que les autres ne pensassent point à l’imiter : « Tous ceux », dit-il, « qui frapperont de l’épée, mourront par l’épée ». Il donne ensuite la raison de cette défense qu’il leur fait : « Pensez-vous que je ne puisse pas prier mon Père, et il m’enverrait aussitôt plus de douze légions d’anges (53) ? Comment donc s’accompliront les Écritures, où il est dit qu’il en doit être ainsi (54) » ? Il arrête par ces paroles la passion de ces disciples, en leur faisant voir qu’il ne se faisait rien alors qui n’eût été prédit par les Écritures. C’est pour la même raison qu’il avait auparavant prié par trois fois, afin que ses disciples reconnaissant si visiblement la volonté de Dieu dans ce qui lui arrivait, ils s’y soumissent avec moins de peine. Ainsi, il les console par une double considération, en leur faisant voir d’un côté les maux que souffriraient un jour ceux qui lui tendaient ce piège : « Tous ceux », dit-il, « qui « prendront l’épée périront par l’épée » : et en leur montrant de l’autre, combien il acceptait volontairement ces souffrances si rudes auxquelles il s’offrait lui-même, puisque s’il ne les eût pas voulu souffrir, il n’avait qu’à s’adresser à son Père, pour rendre inutile toute la fureur de ses ennemis : « Pensez-vous que « je ne puisse pas prier mon Père, et il m’enverrait aussitôt plus de douze légions « d’Anges » ?
Pourquoi ne dit-il pas plutôt : Croyez-vous que je ne puisse perdre moi-même tous mes ennemis ? C’est parce que ses apôtres n’avaient pas encore une idée assez haute de sa puissance. Ils étaient bien plus disposés à croire que ce secours dont il parlait lui pourrait venir de son Père, surtout après ces paroles qu’ils venaient d’entendre : « Mon âme est triste jus-« qu’à la mort : Mon Père, que ce calice s’éloigne de moi » ; en outre il avait été vu dans une agonie qui lui fit répandre une sueur de sang, et dans laquelle un ange le vint soutenir.