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pris ; mais, que je nomme l’aumône, aussitôt vous m’alléguez mille prétextes, des enfants, une femme, une maison, des clients.

Mais, direz-vous, l’amour a des charmes et cause de grands plaisirs ? Voilà justement ce qui m’accable de douleur, voilà ce qui m’afflige au dernier point. Mais si je vous montre qu’à donner aux pauvres, qu’à les servir, il y a et plus de plaisir et plus de joie, que me répondrez-vous ? En effet, là l’infamie, la honte, la dépense ; et encore, les piques, les querelles, les inimitiés diminuent beaucoup le plaisir ; ici il n’y a rien de tout cela. Dites-moi, je vous prie, est-il rien d’égal au plaisir d’attendre en repos et en paix le royaume des cieux, la splendeur des saints, la vie éternelle ? Mais, répliquerez-vous, il faut attendre, au lieu qu’ici nous jouissons. Et comment, et de quoi ? Voulez-vous que je vous fasse voir que, dans la vie que je vous propose, on jouit aussi ? Pensez à la grande, à l’heureuse liberté qu’on y goûte. Faites attention qu’en pratiquant la vertu, vous ne craignez ni n’appréhendez personne, ni ennemi, ni traître, ni sycophante, ni envieux, ni rival, ni jaloux, ni la pauvreté, ni la maladie, ni aucun autre accident humain ; mais dans l’amour, encore qu’une infinité de choses succèdent à souhait, et que les richesses coulent comme une source intarissable, la guerre des rivaux et leurs embûches rendent la vie de ceux qui s’y livrent la plus misérable de toutes. Car, nécessairement, pendant qu’une misérable créature se prélasse dans le luxe et les délices, il faut que la guerre s’allume pour lui complaire : ce qui est plus dur que mille morts et plus insupportable que tous les supplices qu’on pourrait imaginer.

Ici, au contraire, avec l’aumône, il n’arrive rien de pareil : « Les fruits de l’esprit », dit l’apôtre, « sont la charité, la joie, la paix ». (Gal. 5,22) Il n’y a ni guerres, ni dépenses faites mal à propos ; et après avoir distribué son bien, on n’a à craindre ni la honte, ni aucun fâcheux retour ; si vous donnez une obole, si vous donnez un peu de pain et un verre d’eau froide, on vous en aura beaucoup d’obligation, et, loin de rien faire pour vous chagriner ou vous affliger, on fera tout pour votre gloire et pour vous épargner tout affront. Quelle excuse aurons-nous donc, quel pardon pouvons-nous espérer, nous qui abandonnons la vertu pour nous livrer au vice et nous précipiter volontairement dans la fournaise du feu ardent ?

C’est pourquoi j’exhorte ceux qui sont possédés de cette maladie, de rentrer en eux-mêmes, de travailler fortement à leur guérison, et de ne point se laisser aller au désespoir. L’enfant prodigue (Lc. 15,11) avait été bien plus malade encore ; mais il ne fut pas plutôt retourné dans la maison de son père, qu’il fut rétabli dans ses premiers honneurs et dans sa première dignité, et il parut plus grand et plus illustre que celui qui s’était toujours bien conduit. Imitons-le nous-mêmes, et allons enfin trouver notre Père, quoique tardivement ; rompons nos chaînes, sortons de ce malheureux esclavage, rentrons dans notre première liberté, afin que nous possédions un jour le royaume des cieux, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui la gloire appartient, et au Père, et au Saint-Esprit, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.