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plus forte raison l’amour de Jésus-Christ doit-il avoir cet empire sur vous ?
La vertu est pénible ; il faut en déguiser l’aspect sous la grandeur des récompenses qui lui sont promises : les gens de bien, sans aucun autre motif, l’aiment pour elle-même ; ils l’honorent par cette seule raison qu’ils la trouvent belle et agréable ; ils l’exercent et la pratiquent pour l’amour de Dieu, et non pour l’amour de la récompense ; ils regardent la continence comme une grande vertu, non par la crainte du supplice, mais par le précepte que Dieu en a fait : mais, si l’on est faible, qu’on se représente aussi les récompenses.
Usons-en de même à l’égard de l’aumône, ayons compassion de nos compatriotes, ayons pitié de nos frères, ne les laissons pas mourir de faim. Ne serait-il pas honteux d’être commodément assis à table au milieu des ris et des délices, tandis qu’au coin de cette rue, d’autres personnes se lamentent et jettent des cris ; de ne courir pas promptement au secours de celui qui gémit et qui pleure, et, au contraire, de ne le pouvoir souffrir et l’appeler fourbe et imposteur ? O homme, que dites-vous ? Trompe-t-on pour un pain ? Oui, direz-vous. Voilà donc pourquoi le pauvre vous doit plus toucher de compassion, voilà pourquoi vous devez plus vous bâter de le tirer de sa misère. Mais si vous ne lui voulez rien donner, du moins ne l’outragez pas : si vous ne le voulez pas retirer du naufrage, ne l’y poussez point, et ne l’enfoncez pas dans le précipice. Lorsqu’il se présente à vous, et que vous le rejetez, pensez en vous-même à ce que vous voulez demander à Dieu, à ce que vous désirez obtenir de lui : « On se servira envers vous », dit le Seigneur, « de la même mesure dont vous vous serez servis envers les autres ». (Mt. 7,2) Examinez de quelle manière le pauvre se retire après votre refus ; il s’en va humilié, la tête baissée, les yeux trempés de larmes, portant en même temps et la plaie de sa pauvreté, et la plaie que votre outrage vient de lui faire. Si mendier vous semble une malédiction ; ne rien recevoir après en avoir subi la honte, être renvoyé avec des injures, considérez quelle affreuse tempête cela doit exciter dans son âme.
Jusques à quand serons-nous semblables aux bêtes féroces ? jusques à quand notre avarice nous fera-t-elle oublier la nature ? Bien des gens gémissent de nous voir si durs et si impitoyables : mais je veux aujourd’hui vous prêcher la miséricorde, et non seulement aujourd’hui, mais toujours. Pensez à ce redoutable jour auquel nous paraîtrons tous devant le tribunal de Jésus-Christ. Lorsque nous demanderons miséricorde, et que Jésus-Christ, ayant fait avancer les pauvres au milieu, nous parlera de la sorte : Pour un pain ou pour une obole, vous avez excité une très-grande tempête dans le cœur de ceux-ci, que répondrons-nous ? quelle sera notre excuse ? Car le Seigneur nous doit amener les pauvres au milieu et nous lés présenter ; c’est ce que nous apprennent ses propres paroles ; écoutez-le : « Autant de fois que vous avez manqué de rendre ces assistances à l’un de ceux-ci, vous avez manqué à me les rendre à moi-même ». (Mt. 25,45) Les pauvres alors ne nous diront pas un seul mot, mais Dieu nous fera lui-même les reproches pour eux.
Le riche vit Lazare, et si Lazare ne lui dit rien, Abraham parla pour lui. Il en arrivera de même à l’égard des pauvres que nous méprisons maintenant : nous ne les verrons pas nous tendre la main, ni vêtus de sales et misérables habits ; nous les verrons dans le repos et dans la gloire ; mais nous, nous prendrons leurs habits et leur figure. Et plût à Dieu que nous ne prissions que la figure et l’habit ; et que, ce qui est pire et bien plus terrible, nous ne fussions pas jetés dans le lieu des supplices ! Le riche, dans le lieu où il était, ne demandait pas de se rassasier des miettes, mais il était dans le feu et dans les rigoureux tourments ; et cette voix se fit entendre à lui : « Vous avez reçu vos biens dans votre vie, et Lazare n’y a eu que du mal ». (Lc. 16,25)
N’estimons donc pas les richesses comme quelque chose de grand. Elles serviront à nous conduire au supplice, si nous ne sommes pas attentifs sur nous-mêmes ; mais, au contraire, si nous le sommes, la pauvreté sera pour nous un accroissement de repos et de délices ; car elle efface nos péchés, si nous la souffrons avec actions de grâces, et savons nous procurer un grand crédit auprès de Dieu.
5. Ne cherchons pas à jouir du repos sur la terre, afin que nous en jouissions dans le ciel ; combattons courageusement pour la vertu ; retranchons tout ce qu’il y a chez nous de superflu et d’inutile ; contentons-nous du nécessaire, et répandons nos biens dans le sein des