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la lumière en a sur les ténèbres ». (Qo. 2,13) Comment peut-on instruire quelqu’un qui est dans un si profond aveuglement ? Car l’avarice est une sorte de nuit qui obscurcit toutes choses, ou plutôt qui les fait voir autrement qu’elles ne sont en elles-mêmes. Un homme qui serait dans des ténèbres épaisses, ne pourrait discerner la beauté d’un vase très-précieux, ou le prix des diamants ou des étoffes de pourpre qu’on lui montrerait. L’avare de même ne peut comprendre la beauté des choses spirituelles. Renoncez donc à cette passion, et vous commencerez alors à juger équitablement des choses, et selon ce qu’elles sont en elles-mêmes. C’est ce qu’on ne peut bien faire que lorsqu’on est pauvre. Ce qui paraît être quelque chose et n’est rien en effet, ne trahira son néant en aucun autre état aussi bien que dans celui d’une vertueuse pauvreté.
4. Mais quelle est cette frénésie qui fait que vous avez horreur des pauvres, et qui vous fait dire que leur pauvreté est la honte et de leur vie et de leur maison ? Dites-nous donc, je vous prie, quelle est cette infamie que la pauvreté apporte avec elle, et en quoi la maison du pauvre est déshonorée. Ses lits à la vérité ne sont pas d’ivoire, ses vases ne sont pas d’argent ni d’une matière précieuse. Tout y est de terre ou de bois. Mais c’est en cela même que consiste la gloire de sa maison. Le mépris de tout cet ornement extérieur fait que l’âme s’applique tout entière à elle-même, et qu’elle met tous ses soins à devenir belle et précieuse aux yeux de Dieu. Lorsqu’un homme au contraire est tout occupé des choses de ce monde, il témoigne dès-là une bassesse dont tout homme sage devrait rougir.
C’est au contraire dans les maisons des riches qu’on ne voit rien de beau ni rien d’honnête aux yeux de la foi. Car, à quoi ressemblent ces tapisseries relevées d’or et de soie, ces lits d’argent et ces autres ornements si précieux, sinon à la magnificence et aux décorations des théâtres ? Qu’y a-t-il donc de plus indigne d’un chrétien, que de rendre sa maison semblable à une salle de bal et de comédie ? Ainsi, les maisons des riches ressemblent à des théâtres, et celles des pauvres sont semblables à celle de l’apôtre Paul ou du patriarche Abraham. Après cela, peut-on douter lesquelles de ces maisons nous doivent paraître plus belles et mieux parées ?
Pour mieux comprendre ceci, je vous prie d’entrer en esprit, et par la pensée dans la maison de Zachée, et de considérer de quelle manière il l’orna lorsque Jésus-Christ y devait entrer. Il n’alla point emprunter de ses voisins leurs plus magnifiques meubles. Il ne s’empressa point de tirer de ses coffres de riches tapisseries. Il ne voulut point d’autres ornements pour recevoir Jésus-Christ, que ceux qui plaisent à Jésus-Christ : « Je donne », dit-il, « la moitié de mes biens aux pauvres ; et je rends au quadruple tout ce que j’ai pris ». (Lc. 19,7) Parons de cette manière nos maisons, mes frères, pour mériter d’y recevoir le Sauveur. Nous ne pouvons lui rien préparer qui lui plaise davantage. Ces ornements, dont je vous parle, ne se font que dans le ciel. C’est de là qu’ils descendent sur la terre ; et partout où ils se trouvent, là se trouve aussi le Roi du ciel. Si vous pensez à quelque autre magnificence, et à ce luxe qui ne satisfait que les yeux, c’est le démon et ses anges que vous recevez dans votre cœur.
Lorsque le même Sauveur alla chez Matthieu, qui était encore publicain, que fit celui-ci pour se préparer à le recevoir, sinon de commencer à s’orner au dedans de lui-même par une charité ardente, qui le porta à quitter tout pour suivre le divin Maître ? (Mt. 9,10) Ainsi, Corneille le Centenier orna sa maison, non par les pierres précieuses, mais par les prières et par les aumônes : et ces ornements lui ont mérité un palais dans le ciel, où il habite éternellement. (Act. 10,4) Une maison n’est point méprisable parce qu’on y voit des vases pauvres, des meubles mal arrangés, des lits en désordre, des murailles nues et toutes noircies de fumée. Mais ce qui la déshonore véritablement, c’est le dérèglement de ceux qui l’habitent. Jésus-Christ nous a assez persuadés de cette vérité, lorsqu’il n’a pas dédaigné d’entrer dans de pauvres cabanes, et dans des maisons de boue, quand ceux qui y demeuraient étaient riches en vertus ; au lieu qu’il fuit les maisons des méchants et des impies, quand elles seraient toutes pleines d’or. Peut-on nier donc que le lieu où Dieu même habite ne soit préférable à tous les palais du monde ? et que les maisons des méchants, quelque magnifiques qu’elles soient, sont au contraire devant Dieu comme des amas de boue et des lieux d’ordure et d’infection ?
Je dis ceci, mes frères, non pas des riches qui usent bien de leurs richesses, mais de ces