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en pleine mer, ne retire aucun profit de sa longue navigation, si ce n’est un manieur proportionné aux épreuves qu’il a bravées ; de même aussi les âmes, qui, avant d’arriver au but, s’arrêtent au milieu de la carrière, et succombent dans les combats, perdent la couronne et périssent misérablement. C’est pourquoi saint Paul déclare que ce sont, ceux qui auront couru jusqu’à la fin (Rom. 2,7) et persévéré dans les bonnes œuvres, qui obtiendront la gloire, l’honneur et la paix. Et c’est là aussi ce qu’insinue maintenant Jésus-Christ à ses disciples. Comme ils s’étaient d’abord réjouis d’avoir été choisis, et qu’ensuite tout ce qu’il leur avait annoncé de triste sur sa passion, sur sa mort, avait interrompu et troublé leur joie, le Sauveur, après leur avoir tenu de longs discours, pleins de consolation, ajoute encore : « Je vous ai dit ces choses, afin que ma joie demeure en vous, et que votre joie soit pleine et parfaite ». C’est-à-dire : Ne vous séparez pas de moi, et ne vous arrêtez point dans votre course : vous vous êtes réjouis en moi, et vous vous êtes extrêmement réjouis ; mais la tristesse s’est mêlée dans votre joie, et l’a interrompue. Je chasse cette tristesse, afin que votre joie arrive à terme ; je la chasse, en vous faisant voir que les souffrances et les afflictions de cette vie ne méritent pas que vous vous attristiez, et que vous devez plutôt vous en réjouir. Je vous ai vus dans le trouble, et je ne vous ai pas négligés, et je ne vous ai point dit : Pourquoi n’avez-vous pas plus de fermeté et de courage ? mais, au contraire, je vous ai dit tout ce qui était le plus capable de vous consoler. C’est ainsi que je vous veux toujours garder dans mon amour. Vous m’avez entendu parler du royaume, vous vous en êtes réjouis. Je vous ai donc dit ces choses afin que votre joie soit pleine et parfaite.
« Le commandement que je vous donne est de vous aimer les uns les autres, comme je vous ai aimés ». Vous le voyez, mes frères, l’amour de Dieu est mêlé et confondu dans celui du prochain : ces deux amours sont liés ensemble, comme avec une chaîne. Voilà pourquoi le Sauveur en fait quelquefois deux préceptes, et quelquefois il n’en fait qu’un seul ; car ces deux amours sont inséparables. On ne peut avoir l’un sans l’autre. Voilà pourquoi tantôt il dit : « Toute la loi et les prophètes sont renfermés dans ces deux commandements ». (Mt. 22,40) Tantôt « Faites aux hommes tout ce que vous voulez qu’ils vous fassent » (Mt. 7,12) ; c’est là en quoi consistent toute la loi et les prophètes, « et ainsi l’amour est l’accomplissement de la loi ». (Rom. 13,10)
Jésus-Christ le déclare ici de même ; car si « demeurer » renferme l’amour, si l’amour renferme l’observance des commandements, et si le commandement est de nous aimer les uns les autres, c’est par cet amour mutuel que nous avons les uns pour les autres, que nous demeurons en Dieu. Le Sauveur ne nous donne pas seulement le commandement de l’amour, mais il nous en prescrit aussi la mesure, en disant : « Comme je vous ai aimés ». Il fait connaître encore à ses disciples que ce n’est point par haine qu’il se sépare d’eux, mais par amour. C’est donc pour cela que vous deviez m’admirer davantage, et plutôt vous réjouir que vous affliger. Je meurs pour vous. Jésus-Christ ne le dit pas ouvertement, mais il l’indique, lorsqu’il fait ci-dessus la description du bon pasteur ; et ici en donnant ses instructions, en montrant la grandeur et la puissance de l’amour, en déclarant et faisant connaître ce qu’il est. Mais pourquoi le Sauveur relève-t-il partout l’amour ? Parce que l’amour est la marque des disciples ; parce que l’amour forme et entretient la vertu. C’est pour cette raison que saint Paul, lui qui était un véritable disciple de Jésus-Christ, lui qui avait éprouvé et senti en lui-même les effets de l’amour, en dit tant de grandes choses, et le proclame « l’accomplissement de la loi ».
« Vous êtes mes amis (14). Je ne vous appellerai plus mes serviteurs, parce que le serviteur ne sait ce que fait son maître : mais je vous ai appelés mes amis, parce que je vous ai fait savoir tout ce que j’ai appris de mon Père (15) ». Pourquoi dit-il donc : « J’ai beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter présentement ? » (Jn. 16,12) Quand le Sauveur dit : « Tout ce que j’ai appris », il ne veut dire autre chose, sinon qu’il ne dit rien de contraire à son Père, mais uniquement ce qu’il a appris de lui. Or, comme c’est un très-grand témoignage d’amitié que de confier à quelqu’un ses secrets, il dit à ses disciples : J’ai bien voulu vous faire aussi cette grâce, et vous donner cette marque de mon amour : mais quand il dit : « Tout », entendez ce qu’ils devaient savoir.