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douze légions d’anges ? » (Mt. 26,53), il parle selon l’opinion de ses auditeurs. Il faudrait avoir perdu l’esprit, pour dire que Jésus-Christ n’aurait pas pu se secourir lui-même, et qu’il avait besoin des anges. Mais comme ils le croyaient un homme, il a dit que son Père lui enverrait douze légions d’anges. Et cependant, par une seule question qu’il a faite à ceux qui étaient venus pour le prendre, il les a tous fait tomber à la renverse.

Si quelqu’un dit que le Père est plus grand, comme principe du Fils[1], nous ne le contredirons point : mais cela ne dit pas que le Fils soit d’une autre substance. Quand le Fils dit : « Mon Père est plus grand que moi », voici ce qu’il nous veut faire entendre ; tant que je serai ici avec vous, vous pouvez raisonnablement croire que nous sommes en péril ; mais si je m’en vais, ayez cette confiance que nous sommes en sûreté : car personne ne peut ni surmonter, ni vaincre celui à qui je vais. Jésus-Christ disait toutes ces choses, pour se proportionner à la faiblesse de ses disciples. Pour moi, dit-il, je suis dans une pleine assurance, je ne crains rien, je ne me soucie point de la mort. Voilà pourquoi il ajoute : « Je vous dis maintenant ces choses avant qu’elles arrivent (30) ». Comme vous ne pouvez point encore comprendre le discours que je vous tiens là-dessus, je vous console par mon Père, que vous appelez grand.

Le Sauveur, après avoir donc consolé ses disciples, va encore les entretenir de choses tristes et affligeantes. Je ne vous parlerai plus guère. Pourquoi ? « Car le prince du monde va venir, et il n’a rien en moi qui lui appartienne »[2]. Jésus-Christ appelle le diable le prince du monde, et par monde il entend les méchants. Le prince du monde ne commande pas dans le ciel ni sur la terre ; s’il y régnait, il renverserait tout, il mettrait tout dans le désordre et dans la confusion. Il domine seulement sur ceux qui se sont livrés à lui : c’est pourquoi le Sauveur l’appelle le prince des ténèbres de ce siècle, et ici il appelle ténèbres les mauvaises œuvres.

Quoi donc ! Est-ce le diable qui vous fait mourir ? Non : il ne peut rien sur moi. Pourquoi donc les Juifs vous font-ils mourir ? Parce que je le veux bien : « Et afin que le monde connaisse que j’aime mon Père (31) ». Je souffre la mort, non que j’y sois sujet, non que je doive quelque chose au prince du monde ; mais à cause de l’amour que j’ai pour mon Père. Jésus-Christ dit ces choses, afin de relever le cœur de ses disciples et de les encourager de nouveau, afin qu’ils sachent qu’il ne va point à la mort malgré lui, mais volontairement, mais parce qu’il méprise le diable. Il ne lui suffit pas d’avoir dit : « Je suis encore avec vous un peu de temps » (Jn. 7,33) ; mais il le répète souvent, quoique ce discours fût triste et affligeant. D’ailleurs, comme de juste, jusqu’à ce qu’il les y ait habitués, il y mêle des choses plus douces et plus agréables ; c’est pourquoi tantôt il dit : « Je m’en vais et je viens » ; tantôt : « Afin que là où je suis, vous y soyez aussi » ; tantôt : « Vous ne pouvez maintenant me suivre, mais vous me suivrez après ». Et encore : « Je m’en vais à mon Père » ; et : « Mon Père est plus grand que moi » ; et aussi : « Je vous le dis maintenant avant que cela arrive » ; et derechef : « Je ne souffre point la mort par nécessité, mais pour l’amour de mon Père ». Le Sauveur dit donc toutes ces choses, pour faire connaître à ses disciples que la mort n’a rien de fâcheux pour lui, rien de nuisible, puisque son Père veut qu’il meure, quoiqu’il l’aime et qu’il en soit aimé. Il fait souvent mention de sa passion, de sa mort, de ces tristes objets, en y mêlant des idées consolantes, pour préparer leur esprit. Ces paroles : « L’Esprit-Saint demeurera avec vous » ; et : « Il vous est utile que je m’en aille », sont de vraies paroles de consolation. C’était encore pour consoler ses disciples qu’il leur avait dit auparavant bien des choses touchant le Saint-Esprit, savoir : « Il est dans vous » ; et : « Le monde ne peut le recevoir » ; et : « Il vous fera ressouvenir de toutes choses ». Et : « C’est l’Esprit de vérité, c’est l’Esprit-Saint, et le Consolateur ». Et encore : « Il vous est utile que je m’en aille », afin qu’ils ne tombassent point dans l’abattement, comme des gens délaissés et dépourvus de toute aide et de tous secours. Jésus-Christ dit qu’il leur est utile qu’il s’en aille, et par là il leur fait connaître qu’il les rendra spirituels.

  1. Comme principe du Fils. C’est là la seule raison et le seul endroit par lequel on peut dire le Père plus grand, ou plutôt, ou pas plus grand, mais Premier, comme chacun le voit visiblement. Le Père n’est pas par sa nature plus grand que son Fils, mais il est seulement Premier. Voilà le sentiment de saint Chrysostome, et ce qu’il veut nous faire entendre, dit ici le R. P. Dom Bernard de Montfaucon.
  2. Il n’a rien en moi : c’est-à-dire : Il n’a aucun droit sur moi, n’ayant droit que sur les pécheurs.