Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 8, 1865.djvu/464

Cette page n’a pas encore été corrigée

se fit point entendre. Et alors, malgré ces paroles significatives de Jésus : « Mon ami, faites au plus tôt ce que vous faites », ils ne comprirent point ce qu’il voulait dire.
Jésus-Christ parlait de la sorte, pour faire voir que ce qu’il avait dit aux Juifs sur sa mort, était véritable, savoir : « J’ai le pouvoir de quitter la vie, et j’ai le pouvoir de la reprendre ; et personne ne me la ravit ». (Jn. 10,18) Donc, tant que Jésus-Christ a voulu conserver la vie, personne n’a pu la lui ravir ; mais lorsqu’il a permis qu’on la lui ôtât, alors il a été facile de la lui ôter. C’est aussi pour insinuer toutes ces choses qu’il a dites : « Faites au plus tôt ce que vous faites ». Et à ces paroles, les disciples ne connurent point encore le traître ; ils l’auraient peut-être mis en pièces, s’ils l’avaient connu ; peut-être Pierre l’aurait tué. Voilà pourquoi nul de ceux qui étaient à table ne comprit ce que Jésus avait dit. Quoi ! Jean ne le comprit pas ? Non, Jean ne le comprit pas lui-même ; il ne put penser qu’un disciple fût capable d’une si grande méchanceté et d’une si noire perfidie. Comme ils étaient bien éloignés de se porter à un si grand crime, ils ne pouvaient soupçonner que d’autres en fussent capables. Comme aussi le Maître leur avait dit auparavant : « Je ne dis pas ceci de vous tous (18) », et n’avait jamais dénoncé le coupable ; maintenant, de même, ils ont cru qu’il parlait de quelqu’autre.
« Il était nuit », dit l’évangéliste, « lorsque Judas sortit (30) ». Pourquoi me marquez-vous la nuit ? C’est afin que vous connaissiez la hardiesse et l’effronterie de cet homme, dont le temps même de la nuit n’a pu arrêter la violence. Mais cette circonstance ne le fit point connaître encore. Les disciples donc, saisis de crainte et d’une grande frayeur, étaient dans le trouble, et ils n’avaient point compris le vrai sens de ces paroles : mais « ils pensaient que Jésus avait dit cela à Judas, afin qu’il donnât quelque chose aux pauvres ». Car le divin Sauveur avait grand soin des pauvres, pour nous apprendre à montrer un grand zèle pour le même objet. Et ils avaient raison de penser de la sorte, puisque Judas avait la bourse. Mais, dira quelqu’un : nulle part il n’est dit qu’on ait donné de l’argent à Jésus-Christ. Seulement l’évangéliste rapporte que des femmes qui lui étaient attachées, et qui le suivaient pour écouter sa doctrine, fournissaient de leurs biens de quoi subvenir à sa nourriture et à ses besoins ; mais il ne laisse nullement penser qu’on lui ait jamais donné de l’argent. Pourquoi donc celui qui défend à ses disciples de ne porter avec eux dans leurs voyages, ni sac, ni argent, ni bâton, faisait-il lui-même porter une bourse pour le service des pauvres ? C’est pour vous apprendre que celui même qui n’a rien et qui porte sa croix, doit sur toutes choses avoir un grand soin d’assister les pauvres[1]. Car le Seigneur faisait bien des choses uniquement pour notre instruction.
Les disciples crurent donc que Jésus avait dit cela à Judas, afin qu’il donnât quelque argent aux pauvres. Et néanmoins que le Sauveur ait patienté jusqu’au dernier jour, et qu’il n’ait pas voulu le diffamer, ni le faire connaître jusqu’à ce moment, ce traître n’en a point été touché ni amolli. Nous devons imiter, mes frères, cette douceur et cette charité, quelque grands et énormes que soient les péchés de nos frères, nous ne devons pas les divulguer. Encore plus tard, notre divin Maître donna un baiser à Judas, lorsque celui-ci venait pour le trahir, lorsqu’il se présentait à lui pour commettre l’action la plus noire et la plus horrible ; lorsqu’il venait le prendre pour le livrer à la croix et à la mort la plus ignominieuse ; c’est alors même qu’il lui donne de nouveaux témoignages de sa bonté et de sa miséricorde. Et il appelle cela gloire, pour nous apprendre que ce qui paraît le plus honteux et le plus ignominieux, nous illustre et nous couvre de gloire, lorsque c’est pour Dieu que nous le faisons.
Après donc que Judas fut sorti pour accomplir sa trahison, Jésus dit : « Maintenant le Fils de l’Homme est glorifié (31) ». Relevant par ces paroles l’esprit des disciples, qui était dans l’abattement et dans la consternation, il leur fait voir et les convainc que non seulement ils n’ont pas lieu de s’affliger, mais qu’ils doivent même se réjouir. C’est pour cela qu’au commencement, Pierre « ne connaissant point encore

  1. Il est à observer que c’est ici une objection que se propose, en passant, notre saint Docteur, et à laquelle il ne répond que par rapport à la vue et au dessein qu’il avait d’exhorter ses auditeurs d’être attentifs et soigneux à faire l’aumône, et il le fait par ces paroles : « C’est pour vous apprendre, etc. » L’éditeur de saint Chrysostome dit que cet endroit est un peu obscur, et difficile à comprendre. – La supposition que je fais de l’objection qui se montre pour ainsi dire d’elle-même me parait l’éclaircir. J’ai seulement suppléé quelques mots qu’attirent nécessairement le sens et la suite du discours.