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sincèrement attaché à son Maître. Au reste, c’est par un grand amour pour Jean que Pierre fit cette demande : « Et celui-ci, Seigneur, que deviendra-t-il ? » (Jn. 21,21)
Nul autre n’a parlé de Jean de la sorte, et Jean lui-même ne l’aurait point fait si l’occasion présente ne l’y eût engagé. Si, après avoir rapporté que Pierre avait fait signe à Jean de demander « qui était le traître », il n’eût rien ajouté, sûrement il nous aurait jeté dans l’inquiétude et dans le doute, et nous aurait mis dans la nécessité d’en chercher la raison ; voilà pourquoi il l’apporte lui-même, en disant : « Il se reposa sur le sein de Jésus ».
Lorsque vous entendez que Jean était couché sur le sein de Jésus, et qu’il était si familier avec son Maître, croyez-vous avoir appris peu de chose ? Mais si vous demandez ce qui lui procurait cet honneur et cet avantage, je vous dirai que c’est l’amour que Jésus avait pour lui ; c’est pourquoi il dit : « Celui que Jésus aimait ». Pour moi, je pense que Jean eut un autre sujet de faire cette question, et que c’était pour se montrer innocent du crime dont le Maître accusait l’un d’entre eux. Voilà pourquoi il interroge hardiment et avec confiance ; et en effet, pour quelle autre raison ne fait-il cette demande que lorsque le chef des apôtres lui fait signe ? C’est afin que vous ne croyiez pas que Pierre s’adresse préférablement à lui, comme étant plus grand que les autres, aussi Jean déclare que c’est à cause que Jésus l’aimait beaucoup.
Pourquoi Jean se reposa-t-il sur le sein de Jésus-Christ ? C’est parce qu’en général les disciples n’avaient pas encore une digne opinion de lui, et à l’égard de Jean il soulageait par là son affliction. Il y a toute apparence qu’ils avaient tous le visage fort triste ; car si leur âme était pleine de trouble et de tristesse, leur visage sans doute l’était beaucoup plus encore. Jésus-Christ les console donc et par ses paroles, et par la réponse qu’il fait à cette demande, et il invite Jean à reposer sa tête sur son sein. Mais remarquez que cet évangéliste est très éloigné du faste et de l’ostentation ; il ne se nomme pas, mais il dit : « Celui que Jésus aimait ». De même que fait saint Paul, lorsqu’il dit : « Je connais un homme qui fut ravi il y a quatorze ans ».
Voici enfin la première fois que Jésus désigne ouvertement le traître, sans toutefois le nommer. Comment ? En disant : « C’est celui à qui je présenterai du pain que je vais tremper (26) ». Cela même est un reproche de la perfidie de Judas, traître envers celui dont il partageait la table et le pain. Que ce repas, pris en commun, n’ait pas eu le pouvoir de le retenir, je le passe ; mais quel homme n’aurait pas été fléchi par ce morceau de pain présenté de la main d’un tel Maître ? Eh bien ! son cœur n’en est point attendri. Voilà pourquoi Satan entra aussitôt dans lui (27), se riant, se jouant de son impudence. Tant qu’il a été du nombre et dans la société des apôtres, Satan n’a osé entrer en lui, et il s’est contenté de l’attaquer du dehors. Mais aussitôt que Jésus-Christ l’a fait connaître et l’a exclu du sacré collège, le démon s’est librement jeté sur lui, et s’en est mis en possession. Judas étant si méchant et si incorrigible, il ne convenait pas qu’il demeurât davantage dans la maison de son Maître. Voilà pourquoi Jésus le chassa ; Satan s’empare alors de ce membre retranché, et le traître quittant les apôtres, sortit de nuit. Jésus lui dit : « Mon ami, faites au plus tôt ce que vous faites (27) ; mais nul de ceux qui étaient à, table ne comprit cela (28) ».
2. Quelle insensibilité ! Comment ne s’est-il pas laissé fléchir, et n’a-t-il pas été couvert de honte et de confusion ? comment est-il devenu plus hardi et plus impudent ? comment est-il sorti ? Au reste, cette parole de Jésus : « Faites au plus tôt », n’est point un ordre ni un conseil ; c’est un reproche, c’est une marque du désir qu’il a que ce malheureux change et se convertisse ; mais son cœur s’étant endurci, le Seigneur l’a abandonné. « Mais », dit l’évangéliste, « nul de ceux qui étaient à table n’a compris cela ». Sur quoi on peut agiter une grande question : comment les disciples ayant demandé : « Qui est-ce ? » Et Jésus ayant répondu : « C’est celui à qui je donnerai le morceau de pain trempé », ils ne comprirent pas encore pourquoi leur Maître avait dit cela. Peut-être répondit-il si bas que personne ne l’entendit. Jean ayant sa tête inclinée sur le sein de son Maître, lui parla peut-être à l’oreille, en sorte que le traître ne fut point découvert peut-être Jésus répondit de manière qu’il ne