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la vie, lorsqu’elle nous suggère des choses contraires à la volonté de Dieu. Jésus-Christ parlait alors de la mort à ses disciples, c’est-à-dire de sa mort ; et il prévoyait bien que cette nouvelle les jetterait dans la tristesse ; c’est pourquoi il parle avec cette force Pourquoi parler, dit-il, de là résignation que vous devez montrer au sujet de ma mort ? Si vous-mêmes vous ne mourez pas, vous n’avez aucun avantage à espérer. Remarquez, mes chers frères, de quelle manière le Sauveur mêle les paroles de consolation avec celles qui pouvaient paraître un peu dures. Il aurait été effectivement dur et fâcheux pour l’homme, qui aime si fort la vie, de s’entendre dire qu’il fallait mourir. Et pourquoi en irais-je chercher des exemples dans les siècles passés ; puisqu’aujourd’hui même nous trouvons tant de gens qui souffrent volontiers toutes choses pour jouir de cette vie ; encore qu’ils croient à un avenir, à une autre vie plus heureuse ? Voient-ils quelque édifice, quelque machine ingénieuse, ils disent, avec des larmes aux yeux : combien l’homme invente-t-il de choses pour mourir bientôt et être réduit en cendres ! Tant cette vie excite de passion.
Jésus-Christ donc, pour briser tous ces liens, dit : « Celui qui hait sa vie en ce monde, la conserve pour l’autre ». Et ce qui suit fait visiblement connaître qu’il ne l’a dit que pour instruire ses disciples et dissiper leur crainte ; écoutez-le : « Que celui qui me sert me suive ». Parlant de sa mort il montre qu’il exige de ses disciples qu’ils le suivent par leurs œuvres, en mourant aussi eux-mêmes ; car un serviteur doit suivre partout le maître qu’il sert. Considérez en quel temps le Sauveur dit ces choses : il les dit, non quand ils étaient dans la persécution, mais lorsqu’ils étaient tranquilles et en paix, lorsqu’ils se croyaient en sûreté. « Et qu’il se charge de sa croix, et me suive » (Mt. 16,24) ; c’est-à-dire, soyez toujours prêts aux périls, à la mort et à quitter la vie. Ensuite leur ayant fait envisager des choses dures et fâcheuses, il les relève par la promesse de la récompense. Quelle est cette récompense ? C’est qu’on le suit, c’est qu’on est avec lui ; par où il leur fait connaître que la mort sera suivie de la résurrection, car, dit-il : « Où je serai, là sera aussi mon serviteur ». Où est Jésus-Christ ? Dans le ciel. Élevons-y donc nos cœurs et nos esprits avant même la résurrection.
« Si quelqu’un me sert, mon Père l’aimera ». Pourquoi n’a-t-il pas dit : Je l’aimerai ? Parce que les disciples n’avaient pas encore de lui la juste opinion qu’ils en devaient avoir, et qu’ils en avaient une plus grande du Père. Ils ne savaient pas encore que, leur Maître ressusciterait, comment auraient-ils eu de lui une grande opinion ? C’est pourquoi il dit aux enfants de Zébédée : « Ce n’est point à moi à donner[1], mais ce sera ceux à qui il a été préparé par mon Père » (Mc. 10,40) ; mais cependant c’est lui qui juge. Jésus-Christ déclare ici qu’il est le Fils légitime du Père : car le Père les recevra comme les serviteurs de son vrai et légitime Fils.
« Maintenant mon âme est troublée, et que dirai-je ? Mon Père, délivrez-moi de cette heure (27) ». Mais ce n’est point là le langage de celui qui veut persuader qu’il faut aller volontiers à la mort ? Tel est, au contraire, le sens de ces paroles. Le Sauveur, afin qu’on ne dît pas qu’étant exempt des douleurs humaines, il lui était facile de philosopher sur la mort, et qu’il y exhortait, les autres, n’ayant rien à souffrir lui-même, fait voir ici que quoiqu’il la craignît, il ne la refusait pourtant point, parce qu’elle nous devait être très-utile et très-avantageuse. En un mot, ces paroles appartiennent à la chair qu’il a prise, et non à sa divinité. Voilà pourquoi il dit : « Maintenant mon âme est troublée ». S’il n’en était pas ainsi, quelle suite y aurait-il entre ces paroles et les suivantes. « Mon Père, délivrez-moi de cette heure ? » Le divin Sauveur est si troublé, qu’il demande à son Père de le délivrer de la mort, s’il peut l’éviter.
2. Ces paroles marquent la faiblesse de la nature humaine. Mais je ne puis rien alléguer, veut-il dire, pour demander à être délivré de la mort : « Car c’est pour cela que je suis venu en cette heure » ; c’est comme s’il disait : quels que puissent être notre trouble et notre abattement, ne fuyons pas la mort encore que je sois ainsi troublé, je dis qu’il ne faut point fuir la mort. Il faut souffrir ce qui nous arrive ; mais, mon « Père, glorifiez votre nom (28) ». Quoique le trouble où je suis m’ait fait prononcer ces paroles, je dis le contraire : « Glorifiez votre nom » ; c’est-à-dire, menez-moi à la croix : ce qui montre une

  1. « Ce n’est point à moi à donner », le mot « à vous », n’est ni dans saint Chrysostome, ni dans le grec.