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peu et je vais m’en aller. Car, c’est ce qu’il a en en vue lorsqu’il a dit : « Vous ne m’avez pas pour toujours ». Mais rien de tout cela n’a pu fléchir cet homme féroce, ni arrêter sa fureur ; encore que Jésus eût dit et fait bien d’autres choses, qu’il, eût lavé ses pieds dans cette nuit et qu’il l’eût fait asseoir à sa table, ce qui aurait pu amollir le cœur même dès plus grands voleurs, et qu’il eût dit bien des paroles capables d’attendrir une pierre même ; et de plus, ce ne fut pas longtemps avant sa mort que le Sauveur fit et dit toutes ces choses, mais le jour même qu’il allait mourir, de peur que le temps ne les lui fît oublier. Cependant ce traître résiste à tout et se rend inutiles tous les bienfaits du Seigneur.
3. C’est que l’avarice est un horrible ; oui, un horrible fléau : elle ferme les yeux, elle bouche les oreilles de celui qui en est possédé et le rend plus cruel que les bêtes féroces : elle ne lui permet d’avoir nulle attention nulle considération pour quoi que ce soit, ni pour la conscience, ni pour l’amitié, ni pour la société, ni pour son propre salut ; elle le détache de tout pour l’asservir au joug pesant de sa propre autorité : Et ce, qu’il y a de pire clans cet esclavage, c’est qu’elle persuade à ceux dont elle fait ses esclaves qu’ils sont ses obligés ; c’est qu’on s’y complaît d’autant plus qu’on est plus asservi. Voilà par où l’avarice devient une maladie incurable : voilà par où cette bête sauvage est si difficile à prendre et à apprivoiser. Par elle, Giézi, de disciple et de prophète, devint lépreux ; elle perdit Ananie, elle fit un traître de Judas. L’avarice a corrompu les princes des prêtres et les sénateurs, leur a fait recevoir des présents, et les a mis au rang des voleurs : elle a engendré une multitude de maux, inondé les chemins de sang, rempli les villes de pleurs et de gémissements : c’est elle qui souille les repas et y introduit les mets défendus. Voilà pourquoi saint Paul appelle l’avarice une idolâtrie (Eph. 5,5) : et encore, par cette qualification, il n’en a point détourné les hommes.
Mais pourquoi l’apôtre appelle-t-il l’avarice une idolâtrie ? C’est parce que bien des riches n’osent se servir de leurs richesses, qu’ils les gardent précieusement et les remettent à leurs neveux et à leurs héritiers sans y avoir, touché, qu’ils n’osent même pas y toucher-, comme à dés offrandes faites à Dieu. Et s’ils sont quelquefois obligés de s’en servir, ils le font avec réserve et avec respect, comme s’ils touchaient à des choses sacrées auxquelles il né leur serait point permis de toucher. Mais encore comme un idolâtre garde et honore son idole, vous de même vous enfermez votre or sous de bonnes portes et de fortes serrures ; votre coffre ; vous vous en faites un temple, vous vous en faites un autel où vous déposez : votre trésor et le mettez dans des vases d’or. Vous n’adorez pas l’idole comme lui, mais vous lui prodiguez les mêmes soins. Un homme ainsi préoccupé de la passion d’avarice, donnera plutôt ses yeux et sa vie que, son idole. Voilà ce que font les avares qui sont passionnés pour ; l’or.
Mais, direz-vous, je n’adore point l’or. Le gentil non plus n’adore point l’idole, mais le démon qui demeure en elle. Vous, de même, vous n’adorez pas votre or ; mais le démon qui, par vos yeux avidement fixés sur l’or et par votre cupidité, est entré dans votre âme, vous l’adorez. Car l’amour des richesses est pire que le démon : c’est un dieu à qui plusieurs obéissent avec plus de zèle que les gentils n’obéissent à leurs idoles. Ceux-ci n’obéissent pas aux leurs en bien des choses, mais les autres leur sont soumis en tout, et font aveuglément tout ce qu’elles leur prescrivent.
Que commande l’avarice ? Soyez, dit-elle, ennemi de tout le monde, oubliez les devoirs de la nature, négligez le service de Dieu vous-même, sacrifiez-vous à moi : et ils lui obéissent en tout. On immole aux idoles des bœufs et des moutons ; mais l’avarice veut un autre sacrifice ; elle dit : immolez-moi votre âme, et l’avare lui immole son âme. Ne voyez-vous pas quels autels on élève à l’avarice, quels sacrifices elle reçoit ? Les avares ne seront point héritiers du royaume de Dieu (1Cor. 6,70) ; et ils ne craignent et ils ne tremblent point. Mais toutefois cette passion est la plus faible de toutes : elle n’est point nés avec nous, elle ne nous est point naturelle : si elle venait de la nature, elle aurait établi son règne dès le commencement du monde. Or, au commencement il n’y avait point d’or, personne n’aimait l’or.
Mais voulez-vous savoir d’où naît cette passion ? comment elle a crû, comment elle s’est étendue ? Le mal s’est propagé parce que les hommes ont porté envie aux riches qui avaient vécu avant eux, et le spectacle de la