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d’autres fois de le prendre, non seulement ils ne l’avaient pu, mais encore ils s’étaient fait moquer d’eux. S’il s’est souvent échappé de leurs mains, lorsqu’ils croyaient le tenir ; s’il les a empêchés de le faire mourir, et les a laissés en doute et en suspens, c’était afin de lés amener au repentir et à la componction, en leur faisant ainsi connaître sa vertu et sa puissance ; afin qu’ils sussent, quand ils l’auraient pris, que ce n’était point par leur propre force qu’ils le tenaient ; mais parce qu’il avait bien voulu se livrer volontairement à eux. En effet, il leur fut alors impossible de le prendre, quoiqu’il fût à Béthanie, proche de Jérusalem ; et lors même qu’ils l’eurent pris, il les renversa tous et les fit tomber par terre. (Jn. 18,6)
« Six jours avant la Pâque, Jésus vint à Béthanie, où était Lazare, qu’il avait ressuscité d’entre les morts. (Chap. 12,1) Et il mangea chez eux, Marthe servait et Lazare mangeait avec lui[1] (2) ». Que Lazare, beaucoup de jours après sa résurrection, fût en vie et mangeât, c’était là un signe et un témoignage bien sûr d’une véritable résurrection. Du texte qui précède il résulte clairement que le repas avait lieu dans la maison de. Marthe ; Lazare et ses sueurs accueillent Jésus comme des personnes qui l’aiment et en sont aimées. Quelques-uns disent pourtant que le souper fut préparé dans une autre maison ; Marie ne servait point, uniquement occupée à écouter Jésus-Christ. Encore ici, elle montre des dispositions plus spirituelles. Elle s’abstient de servir, comme si elle n’était qu’invitée. Elle réserve pour Jésus-Christ seul son service et ses hommages, et ne se comporte point envers lui comme envers un homme, mais comme envers Dieu (3). Voilà pourquoi elle répandit des parfums sur ses pieds et elle les essuya de ses cheveux ; ce qui faisait visiblement voir qu’elle n’avait pas la même opinion de Jésus-Christ que les autres.
Mais Judas, par un feint scrupule de piété, lui en fit des reproches. Que répondit donc Jésus-Christ ? « Marie a fait une bonne œuvre », lorsqu’elle a répandu des parfums sur mon corps, « elle l’a fait pour m’ensevelir[2] (7) ». Pourquoi Jésus ne reprit-il pas son disciple d’avoir désapprouvé l’action de cette femme, et ne dit-il point, comme l’évangéliste, qu’il l’avait blâmée pour voler l’argent ? C’est parce qu’il voulut lui inspirer de la honte par sa patience. Mais Jésus connut Judas pour un traître, c’est de quoi on ne peut douter, puisqu’il l’avait déjà repris bien des fois, en disant : Tous ne croient pas, et « un de vous autres est un démon ». (Jn. 6,71) Jésus fit donc connaître qu’il savait que Judas était un traître, mais il ne le réprimanda pas ouvertement ; il l’épargne et le traite avec douceur, parce qu’il voulait le détourner de son dessein. Mais pourquoi un autre évangéliste rapporte-t-il que tous les disciples avaient parlé de même ? Il est vrai, les disciples et celui-ci se choquèrent tous de cette action, mais non point dans une même pensée.
Que si, quelqu’un demande pourquoi Jésus-Christ confia la bourse des pauvres à un voleur, et en commit la dispensation à un avare, nous répondrons que Dieu seul connaît les choses secrètes. Mais de plus, s’il m’est permis de dire mon sentiment et de hasarder une conjecture, je répondrai que le Sauveur en usait de la sorte pour ôter à Judas tout sujet d’excuse. En effet, il ne pouvait même pas prétexter que c’était l’amour de l’argent qui le poussait à trahir son Maître, puisqu’ayant la bourse en sa disposition, il lui était aisé de satisfaire sa malheureuse cupidité ; mais il fallait qu’il confessât que son extrême méchanceté le portait à commettre ce crime, et c’est pour l’arrêter et le corriger que Jésus-Christ usait de tant d’indulgence à son égard. C’est encore pour cette raison qu’il ne le reprenait pas de ses larcins, quoiqu’il ne les ignorât point, et qu’il lui laissait les moyens d’assouvir sa misérable passion, pour lui ôter toute excuse.
« Laissez-la faire. », dit Jésus, « elle a répandu ce parfum pour m’embaumer », elle prévient ma sépulture de quelques jours. Le Sauveur, parlant ainsi de sa sépulture, avertit et reprend de nouveau le traître de son dessein. Mais cet avertissement ne le toucha point, cette parole n’amollit pas son cœur, quoiqu’elle fût pourtant capable d’inspirer de la compassion et de la pitié ; car Jésus semblait dire : Je vous suis à charge et incommode, mais patientez un

  1. Autrement : Lazare était un de ceux qui furent à table avec lui.
  2. Le mot : ἐνταφιασμος, que je lis dans mon texte ; ou le verbe ενταφιαζειν, qui est dans de Nouveau Testament grec, signifient préparer un corps pour l’ensevelir : « Marie a fait cette action pour prévenir ma sépulture », pour préparer mon corps à la sépulture, pour lui rendre les derniers devoirs : ou encore, pour faire mes funérailles.