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Pourquoi Jésus-Christ ne dit-il pas : Mais je ne l’ai pas permis au démon, et qu’il dit : « Et moi j’ai prié », sinon parce qu’allant à sa passion il voulait parler plus humblement, et témoigner davantage la vérité de la nature humaine dont il était revêtu ? Et comment serait-il possible, qu’après avoir établi si solidement et si puissamment son Église sur la confession de foi que lit cet apôtre, qu’après lui avoir promis qu’elle serait invincible à tous les dangers, et à la mort même ; qu’après lui avoir donné les clefs du Royaume des cieux, et l’avoir affermi dans une si grande puissance, sans qu’il eût besoin de, faire aucune prière, comment, dis-je, serait-il possible qu’il eût besoin de prier en cette rencontre ? Car il lui parlait avec une autorité toute divine, lorsqu’il disait : « J’édifierai mon Église sur toi, et je te donnerai les clefs du royaume des cieux ». Comment après cela devait-il avoir recours à la prière pour calmer le trouble d’un seul homme ? Pourquoi donc use-t-il de ces termes, sinon pour la raison que je viens d’indiquer, et pour condescendre à la faiblesse de ses disciples qui n’avaient pas encore de lui l’opinion qu’ils devaient en avoir.
Vous me demanderez peut-être comment, après cette prière, saint Pierre a pu renoncer son maître. Jésus-Christ n’a pas dit qu’il prierait son Père d’empêcher que Pierre ne le renonçât ; mais qu’il, ne perdît la foi. Car c’est pas ses prières et par sa grâce que la foi de cet apôtre ne s’est pas tout à fait éteinte. Saint Pierre craignit beaucoup, parce que Dieu l’avait beaucoup laissé à lui, et il l’avait beaucoup laissé à lui en retirant de lui son secours, parce que la présomption avait blessé son âme jusqu’à le faire contredire son divin Maître. Celui-ci permit donc qu’il tombât dans ce triple renoncement, afin de détruite en lui son orgueil jusqu’à la racine, car ce mal funeste était si profondément enraciné dans son cœur, que, n’étant pas content d’avoir contredit le prophète et Jésus-Christ même, il eut encore la hardiesse, après que Jésus-Christ lui eut dit : « Je vous dis en vérité, qu’en cette « même nuit, avant que le coq chante, vous me renoncerez trois fois (34) », de lui répondre : « Quand il me faudrait mourir avec vous, je ne vous renoncerai point (35) ». Et saint Luc remarque que plus Jésus-Christ lui disait qu’il tomberait dans ce scandale, plus l’apôtre soutenait le contraire. A quoi pensez-vous, apôtre ? Lorsque votre maître disait en général à ses disciples : « Un de vous me trahira », vous craigniez d’être ce traître, et quoique vous ne vous sentissiez point coupable de ce dessein parricide, vous ne laissiez pas de vous défier de vous-même ; et vous exhortiez un autre disciple à prier le Sauveur de vous marquer quel, serait ce traître. Et lorsqu’il déclare nettement ici qu’il sera pour tous ses disciples un sujet de chute et de scandale, vous osez lui résister et le contredire ?. Vous ne commettez pas même cette faute une seule fois et dans la première surprise d’une chaleur précipitée ; mais vous lui répétez plusieurs fois ces mêmes paroles. D’où vient donc un si grand excès ?
La faute de saint Pierre, mes frères, vint du grand amour qu’il avait pour Jésus-Christ, et du grand plaisir qu’il ressentait en lui-même, lorsqu’il fut délivré de l’appréhension d’être peut-être celui qui trahirait Jésus-Christ. Lorsqu’il se vit dégagé de cette crainte, il conçut une joie profonde et une confiance extraordinaire en lui-même, qui fit que, s’élevant au-dessus de tous les autres disciples, il dit hardiment en leur présence : « Quand tous les autres seraient scandalisés en vous, moi je ne le serais jamais ». Je crois, sans doute qu’il dit ces paroles par un mouvement de vanité et d’orgueil. Car on voit que même dans ce dernier souper ils disputaient pour savoir qui était le plus grand d’entre eux, tant l’amour de la vaine gloire était enraciné dans leurs esprits. Jésus-Christ donc voulant guérir son disciple d’une maladie si, mortelle, et de tant de maux ensemble, ne le poussa pas à la vérité à le renoncer, Dieu nous garde de cette pensée ; mais il retira sa grâce de lui, et fit voir jusqu’où allait la faiblesse de notre nature.
Et remarquez, mes frères, combien il témoigna dans la suite que sa chute l’avait instruit, et que cette faute lui avait été utile. Voyez avec quelle modestie il parle toujours après la résurrection de son Maître. L’Évangile nous rapporte que lorsqu’il eut dit à Jésus-Christ dans une certaine occasion : « Seigneur, que deviendra ce disciple » ? (Jn. 21) et que Jésus-Christ lui eut fermé la bouche et arrêté sa curiosité, il n’osa plus rien répliquer. Quand le Fils de Dieu eut dit de même à tous ses disciples que ce « n’était pas à eux à connaître les temps ni les moments » (Act. 1), il demeura aussitôt dans le silence sans dire une