Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 8, 1865.djvu/392

Cette page n’a pas encore été corrigée

mais c’est parce qu’il veut se faire connaître, et montrer combien il estime la foi de cet homme. Un si grand peuple, dit-il, m’a chargé d’injures, je n’en fais point de cas ; la seule chose que je désire, c’est que vous croyiez en moi, car un seul homme qui fait la volonté de Dieu, vaut mieux qu’une grande multitude de prévaricateurs[1]. « Croyez-vous au Fils de Dieu ? » Jésus l’interroge comme étant lui-même le Fils de Dieu, lui qui est présent à ses yeux, et il commence par lui inspirer le désir de le connaître. Car il ne lui a point dit : Croyez sur-le-champ ; mais il l’a interrogé sur sa créance. Que répond-il donc ? « Et qui est-il, Seigneur, afin que je croie en lui ? » Réponse d’un homme qui souhaite et désire ardemment : il ne connaît pas celui pour qui il a tant parlé, et en cela même il vous fait connaître la grandeur de son amour pour la vérité : la faveur ni l’intérêt ne l’avaient point fait parler, puisqu’il n’avait pas encore vu son bienfaiteur.
« Jésus lui dit : Vous l’avez vu, et c’est celui-là même qui parle à vous (37) ». Il ne dit point : c’est moi ; usant encore de ménagement, il lui répond. « Vous l’avez vu ». Ces paroles étaient obscures, c’est pourquoi il en ajoute de plus claires, et il dit : « C’est celui-là même qui parle à vous ». L’aveugle répondit : « Je crois, Seigneur : et, se prosternant » aussitôt, « il l’adora (38) ». Le Sauveur ne lui dit pas non plus : C’est moi qui vous ai guéri, c’est moi qui vous ai dit : allez vous laver dans la piscine de Siloé ; mais passant ces choses sous silence, il lui dit : « Croyez-vous au Fils de Dieu ? » Sur quoi l’aveugle se prosterna incontinent et l’adora avec une grande démonstration d’amour et d’affection ce que firent un petit nombre seulement de ceux qu’il avait guéris, comme les lépreux et quelques autres peut-être. Jésus lui découvrit ensuite sa divine puissance ; car, afin qu’on ne crût pas que c’étaient là de simples paroles, il y joignit le témoignage des œuvres. Et comme l’aveugle était encore prosterné à ses pieds pour l’adorer, il ajouta : « Je suis venu dans ce monde pour exercer un jugement, afin que ceux qui ne voient point voient, et que ceux qui voient deviennent aveugles (39) ». Saint Paul dit la même chose : « Que conclurons-nous donc ? Que les gentils qui ne cherchaient point la justice, ont embrassé la justice, et une justice qui vient de la foi en Jésus-Christ[2]; qu’au contraire, les Israélites qui recherchaient la justice de la loi, ne sont point parvenus à cette justice ». (Rom. 9,30)
Quand Jésus-Christ a dit : « Je suis venu dans ce monde pour exercer un jugement », il a affermi l’aveugle dans la foi, et il y a invité ceux qui le suivaient, à savoir : les pharisiens. Et ce mot : « un jugement », signifie un plus grand supplice ; par là il montre que ceux qui le condamnaient étaient eux-mêmes condamnés ; et que ceux qui l’appelaient un pécheur étaient eux-mêmes réprouvés comme tels. De plus, le Sauveur déclare ici qu’il y a deux sortes de vues à recouvrer, et deux aveuglements : l’un sensible, l’autre spirituel. Alors quelques-uns de ceux qui le suivaient lui dirent : « Sommes-nous donc aveugles (40) ? » Et comme, dans une autre occasion, ils avaient dit. « Nous n’avons jamais été esclaves de personne » (Jn. 8,33) ; et : « Nous ne sommes pas des enfants bâtards » (Id. 41) : maintenant de même ils n’ont d’yeux et d’oreilles que pour les choses sensibles, et telle est la cécité à laquelle ils rougiraient d’être en proie. Après quoi Jésus-Christ, pour leur faire connaître qu’il vaudrait mieux pour eux d’être aveugles que de voir, leur dit : « Si vous étiez et aveugles, vous n’auriez point de péché (41) ». Les Juifs regardant donc comme une ignominie le malheur d’être aveugles, Jésus-Christ rétorque leur discours contre eux, et leur dit : c’est là ce qui vous rendrait moins coupables, et vous ne seriez pas si sévèrement punis. Ainsi le Sauveur écarte toujours les sentiments humains et charnels, et il élève l’âme en lui inspirant des pensées grandes et admirables. Vous dites donc maintenant que vous voyez. Comme Jésus-Christ leur avait dit ailleurs : Vous dites qu’il est votre Dieu ; de même il leur dit ici : « Mais maintenant vous dites que vous voyez » ; car dans la vérité vous ne voyez point. Ici Jésus-Christ montre

  1. Un seul homme qui fait la volonté de Dieu, vaut mieux qu’une multitude de prévaricateurs. Le saint Docteur fait sans doute allusion à ce passage de l’Ecclésiastique : « Un vaut mieux que mille », auquel il ajoute en plusieurs endroits où il le cite, le mot : δίχαιος, unus justus ; un seul homme juste, comme on peut le voir dans la vingt-quatrième et la trente-neuvième homélie sur la Genèse. Nous remarquons que la bible de Complute a suivi la même leçon. Et ce même sens se trouve aussi dans notre Vulgate, qui dit : Un seul enfant qui craint Dieu, vaut mieux que mille qui sont méchants. Melior est unus timens Deum, quam mille filii impii. Loc cit. (Sir. 16,3, selon les Septante)
  2. C-à-d ils ont été justifiés par la foi en Jésus-Christ, et non par les œuvres de la Loi.