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on nous déshonore, on se rit, on se moque de nous ; ne nous troublons point, ne nous abattons pas, et pour vouloir nous venger ne nous perdons pas nous-mêmes. La colère est une bête, et une bête furieuse et cruelle. C’est pourquoi chantons-nous à nous-mêmes les cantiques des divines Écritures, et disons-nous : « Tu n’es que terre et que cendre » (Gen. 3,19) : pourquoi la, terre et la cendre « s’élèvent-elles d’orgueil ? » (Sir. 10,9) Et : « L’émotion de la colère qu’il a dans le cœur est sa ruine ». (Sir. 1,28) Et : « L’homme colère n’est point agréable ».(Prov. 11,25, LXX) En effet, rien n’est plus laid, rien n’est plus affreux que l’aspect d’un homme en colère. Que si son aspect est hideux et horrible, son âme l’est bien plus. Car comme d’un bourbier qu’on remue, il sort et se répand une odeur empestée, de même l’âme que la colère agite sera difforme et infecte.
Mais, direz-vous, je ne puis souffrir les injures que me dit mon ennemi. Pourquoi, je vous prie ? Si ce qu’il dit de vous est vrai, vous devez en sa présence même donner des marques de votre componction, et lui être obligé ; mais si ce qu’il dit est faux, méprisez ses discours. Dit-il que vous êtes pauvre ? riez-en ; que vous êtes de basse naissance, ou que vous avez perdu la raison ? gémissez pour lui. « Celui qui dit à son frère : Vous êtes un fou, méritera d’être condamné au feu de l’enfer ». (Mt. 5,22) S’il vous outrage ; pensez au supplice qui l’attend, et non seulement vous retiendrez votre colère, mais encore vous répandrez des larmes. Personne ne se fâche contre un homme qui a la fièvre ou qu’une maladie aiguë transporte de fureur ; au contraire, on en a pitié, on pleure sur lui. Or, voilà l’image d’une âme en colère. Mais si vous voulez vous venger, gardez le silence ; cela mortifiera plus votre ennemi que tout ce que vous lui pourriez dire. Si, au contraire, vous repoussez l’injure par l’injure, vous attisez le feu.
Mais, direz-vous encore, si nous ne répliquons pas, on nous accusera de faiblesse. Non, on ne vous accusera pas de faiblesse, mais on admirera votre sagesse, votre philosophie. Que si l’injure qu’on vous dit allume votre colère, vous donnerez lieu de croire que ce qu’on vous reproche est véritable. Pourquoi, je vous prie, le riche, qui s’entend dire pauvre, en rit-il ? N’est-ce pas parce qu’il sait bien qu’il n’est pas pauvre ? Nous, de même, si nous rions quand on nous accuse, nous donnerons une très-grande preuve que nous ne sommes nullement coupables. Mais de plus, jusques à quand craindrons-nous les accusations des hommes ? Jusques à quand mépriserons-nous notre commun Maître, et serons-nous attachés à la chair ? « Car, puisqu’il y a parmi vous des jalousies », dit l’apôtre, « n’est-il pas visible que vous êtes charnels ? » (1Cor. 3,3)
Soyons donc spirituels, domptons cette méchante et cruelle bête ; entre la colère et la folie, il n’y a aucune différence : la colère est une espèce de démon passager, ou plutôt elle est pire qu’un démoniaque. On excuse un démoniaque, mais l’homme colère se rend digne de mille supplices ; volontairement il court à sa perte et se jette dans l’abîme ; perpétuellement agité de pensées tumultueuses, nuit et jour dans le trouble et dans les angoisses de l’âme, il souffre ici-bas même des tourments avant-coureurs de l’enfer. C’est pourquoi, travaillons à nous délivrer et de ce supplice présent, et de la vengeance future. Chassons loin de nous cette maladie, et comportons-nous en toutes choses avec beaucoup de douceur, afin que nous procurions à nos âmes le repos et la tranquillité, et en ce monde et dans le royaume des cieux, que je vous souhaite, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui gloire soit au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.