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fois il le comprit parmi les autres incrédules, en disant : « Il y en a quelques-uns d’entre vous qui ne croient pas ». C’est ce que l’évangéliste déclare par ces paroles : « Jésus savait dès le commencement qui étaient ceux qui ne croyaient point, et qui serait celui qui le trahirait ». (Jn. 6,65) Mais comme il persévérait dans son malheureux dessein, il lui en fait un reproche plus fort et plus piquant : « Un d’entre vous », dit-il, « est un démon ». Il parle à tous en commun, pour leur inspirer de la crainte à tous et pour couvrir encore Judas. Sur quoi il y a lieu de demander pour quelle raison les disciples ne répondent point à une accusation si terrible, mais ils doutent, ils s’attristent, ils se regardent l’un l’autre et chacun d’eux dit : « Serait-ce moi, Seigneur ? » (Mt. 26,22) Et Pierre fit signe à Jean de s’enquérir du Maître qui était le traître. (Jn. 13,24) Quelle en est donc la raison ? Avant que Pierre eut entendu cette foudroyante parole : « Retirez-vous de moi, Satan » (Mt. 17,23), il ne, craignait point ; mais après que son Maître l’eût si amèrement repris, et qu’ayant parlé avec beaucoup d’affection, il n’en fut point loué, mais il s’entendit même appeler Satan, il eut sujet de craindre pour lui, lorsque Jésus dit : « L’un de vous me trahira ». De plus, maintenant Jésus-Christ ne dit pas : « L’un de vous me trahira » ; mais : « Un de vous autres est un démon ». (Mt. 26,21) Voilà pourquoi les disciples ne comprenaient pas ce qu’avait voulu dire leur Maître, et ils pensaient qu’il leur reprochait seulement leur peu de foi et leur imperfection.
Mais pourquoi le divin Sauveur a-t-il dit : « Ne vous ai-je point choisi au nombre de douze, et néanmoins un de vous est un démon (71) ? » C’était pour leur faire connaître que sa doctrine était éloignée de toute flatterie, que ce n’était point par l’adulation qu’il voulait se les attacher et les persuader. Lorsque tous se retiraient, qu’ils demeuraient seuls et qu’ils confessaient hautement le Christ par la bouche de Pierre ; ne voulant même pas alors qu’ils s’attendissent qu’il les flatterait, il leur en ôte toute la pensée ; c’est comme s’il leur disait : Rien n’est capable de m’empêcher de reprendre les méchants : ne croyez pas que, parce que vous demeurez arec moi, je vous flatte et je vous donne des louanges, ou que parce que vous me suivez, je m’abstienne de reprendre les méchants. Ce qui peut le plus flatter un maître ne me touche point, moi ; celui qui demeure donne une marque de son amour. Il arrivera que celui que le maître a choisi sera outragé et chassé par les insensés, comme s’il était lui-même insensé. Mais toutefois rien de tout cela ne m’empêche de reprendre ceux qui font le mal. Voilà sur quoi les gentils reprennent, aujourd’hui encore, Jésus-Christ de la manière la plus ridicule. Dieu n’a pas coutume de contraindre ni de forcer personne à devenir homme de bien ; son élection et sa vocation ne contraignent point, mais il opère par la persuasion. Voulez-vous savoir et vous convaincre que la vocation ne force et ne contraint personne ? voyez, examinez combien il y en a parmi ceux qui ont été appelés qui se sont perdus. Par là vous verrez manifestement que le salut et la perte dépendent de notre libre arbitre et de notre volonté.
5. Que ces vérités, mes frères, nous rendent donc extrêmement attentifs et toujours vigilants. Si celui qui était agrégé au sacré collège des apôtres, qui avait reçu un si grand don, qui avait fait des miracles ; car il avait été envoyé avec les autres pour ressusciter les morts et guérir les lépreux ; si, dis-je, un disciple, pour s’être laissé infecter de la cruelle et très-dangereuse maladie, de l’avarice, a trahi son Maître ; si tant de bienfaits et de grâces ; si, ni le commerce, ni la familiarité avec Jésus-Christ, ni le lavement des pieds, ni la société de table, ni la garde de la bourse, ne lui ont servi de rien, ou plutôt si toutes ces choses lui ont ouvert le précipice où il s’est jeté ; tremblons et craignons nous-mêmes d’imiter un jour ce perfide par notre avarice. Vous ne trahissez pas Jésus-Christ ? Mais lorsque vous méprisez le pauvre qui sèche de faim, ou qui transit de froid, vous méritez le sort de Judas et la même condamnation. Et lorsque nous participons indignement aux saints mystères, nous tombons dans le même abîme, où se sont précipités ceux qui ont fait mourir Jésus-Christ. Lorsque nous volons, lorsque nous opprimons le pauvre et l’indigent, nous nous attirons une terrible vengeance : et certes nous la méritons bien. Jusques à quand serons-nous donc possédés de l’amour des biens de ce monde, de ces choses superflues et inutiles ? car les richesses sont des choses vaines et sans utilité. Jusques à quand notre cœur