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le profit. Quoi donc ? Est-ce que sa chair n’est pas chair ? Elle l’est, sûrement. Pourquoi donc a-t-il dit : « La chair ne sert de rien ? » Le divin Sauveur ne l’entend pas de sa chair, Dieu nous garde d’une telle pensée, mais de ceux qui recevaient charnellement ce qu’il disait ; et qu’est-ce qu’entendre charnellement ? C’est prendre tout simplement et à la lettre ce qu’on dit, et ne rien penser, et ne rien imaginer de plus ; c’est là voir les choses avec des yeux charnels. Or il n’en faut pas juger selon ce qu’elles paraissent aux yeux du corps, mais, tout ce qui est mystère, il faut le voir et le considérer avec les yeux de l’âme, c’est-à-dire spirituellement. N’est-il pas vrai, n’est-il pas certain, que celui qui ne mange point la chair de Jésus-Christ et ne boit point son sang, n’a pas la vie en lui-même ? Comment donc la chair ne sert-elle de rien, cette chair sans laquelle nous ne pouvons pas vivre ? Vous voyez bien que le Sauveur, ne parle point là de sa chair, mais de ce qu’on entend ses paroles d’une manière charnelle.

« Mais il y en a quelques-uns d’entre vous qui ne croient pas (65) ». Jésus-Christ, selon sa coutume, relève ce qu’il dit ; et lui donne de la dignité ; il prédit ce qui doit arriver et fait voir que c’est pour le salut de ses auditeurs qu’il leur parle de ces choses, et non pour s’attirer de la gloire. Au reste, en disant : « Quelques-uns », il sépare ses disciples de ce nombre. Au commencement, il avait dit : « Vous m’avez vu et vous ne m’avez point cru ». (Jn. 6,36) Mais il dit ici : « Il y en a quelques-uns d’entre vous qui ne croient pas ». En effet, il savait dès le commencement qui étaient ceux qui ne croiraient point, et qui était celui qui devait le trahir. « Et il leur disait : C’est pour cela que je vous ai dit que personne ne peut venir à moi, s’il ne lui est donné par mon Père (66) ». L’évangéliste insinue ici que la dispensation des dons et des grâces du Père se fait librement et volontairement. Et il montre la patience de Jésus-Christ. Et ce n’est pas sans raison qu’il met ici ce mot : « Dès le commencement » ; c’est pour vous faire connaître la prescience de Jésus-Christ, et qu’il avait connu leur incrédulité et la trahison de Judas avant qu’ils eussent ouvert la bouche et qu’ils se fussent déclarés par leurs murmures ; ce qui était une preuve bien évidente de sa divinité. Il ajoute ensuite : « S’il ne lui est donné par mon Père », pour les persuader et les engager à croire que Dieu était son Père et non pas Joseph, et leur faire connaître que ce n’était pas une chose commune que de croire en lui ; comme s’il disait : Qu’il y en ait qui ne croient pas en moi, je n’en suis nullement troublé, ni étonné ; car longtemps auparavant que cela arrivât, je l’ai su, j’ai connu qui sont ceux à qui mon Père a donné.

3. Lorsque vous entendez ce mot : « Il a donné », ne pensez pas que le Père donne au hasard ou à l’aventure, mais croyez que celui qui s’est rendu digne de ce don, le reçoit. « Dès lors, plusieurs de ses disciples se retirèrent de sa suite et n’allaient plus avec lui (67) ». C’est avec juste raison que l’évangéliste n’a pas dit : Ils s’en allèrent, mais : « Ils se retirèrent de sa suite » ; pour montrer qu’ils avaient abandonné le chemin de la vertu, et qu’en se séparant de Jésus ils avaient quitté la foi dont jusqu’alors ils avaient fait profession ; mais les douze disciples ne firent pas de même. C’est pourquoi Jésus leur dit : « Et vous, voulez-vous aussi vous en aller ? (68) ». Par où il leur fait connaître qu’il n’a pas besoin de leur ministère, ni de leur service, et que ce n’est pas pour cela qu’il les mène avec lui. Celui qui leur parle de cette manière, quel besoin aurait-il pu avoir d’eux ?

Pourquoi ne les a-t-il pas loués, pourquoi n’a-t-il pas exalté leur vertu ? Premièrement, pour conserver sa dignité de maître ; en second lieu, pour montrer que c’est de cette manière qu’ils devaient être attirés et engagés à sa suite. Si Jésus les eût loués croyant qu’ils l’avaient obligé, ils en auraient conçu quelques sentiments humains, quelque amour propre. Mais leur ayant fait connaître qu’il n’avait point besoin de leur compagnie, il les a mieux retenus dans leur devoir, et se les est encore plus fortement attachés.

Remarquez aussi, mes frères, avec quelle prudence il leur parle. Il ne leur a pas dit : Allez-vous-en, car ç’aurait été là leur donner leur congé et les renvoyer. Mais il les interroge et leur dit : « Et vous, voulez-vous aussi vous en aller ? » Par là il ôte toute contrainte et toute nécessité ; il les prévient, leur donne la liberté de faire ce qu’ils voudront, afin que ce ne soit pas la honte qui les retienne, et qu’au contraire, ils lui soient obligés de la bonté qu’il a de les garder. Et encore, en évitant de leur faire ce reproche publiquement,