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cela vient uniquement de leur folie et non de l’obscurité des paroles. Considérez ici, je vous prie, mes frères, de quelle manière le Sauveur gagne le cœur de ses disciples et se les attache ; car ce sont eux qui lui disent. « Vous avez les paroles de la vie éternelle : à qui irions-nous, Seigneur (69) ? »
Au reste, Jésus-Christ dit ici que c’est lui-même qui donnera ; il ne dit pas que c’est son Père : « Le pain que je donnerai », dit-il, « c’est ma chair » que je dois livrer « pour la vie du monde ». Mais le peuple ne parle pas de même ; il dit au contraire : « Ces paroles sont bien dures ». Et voilà pourquoi ils se retirent. Cependant cette doctrine n’était point nouvelle, elle n’était point différente de celle qu’on leur avait enseignée. Déjà auparavant Jean-Baptiste leur avait insinué la même vérité, lorsqu’il appela Jésus agneau. Mais, direz-vous, ils n’avaient point compris ce que cela voulait dire. Je le sais : les disciples eux-mêmes ne l’avaient pas entendu. S’ils n’avaient pas encore une trop claire connaissance de la résurrection, puisqu’ils ignoraient ce qu’avait voulu dire Jésus par ces paroles : « Détruisez ce temple et je le rétablirai en trois jours » (Jn. 11,19), ils comprenaient bien moins les paroles de Jean-Baptiste, qui étaient plus obscures. En effet, ils avaient appris que les prophètes étaient ressuscités, quoique l’Écriture ne le dise pas clairement : mais que quelqu’un eût mangé de la chair « d’un homme », c’est ce qu’aucun d’eux n’avait dit : toutefois, ils étaient dociles et soumis à Jésus-Christ. Ils le suivaient, et ils confessaient qu’il avait les paroles de la vie éternelle. Car c’est le devoir d’un disciple de ne pas examiner avec trop de curiosité les paroles de son maître, mais d’écouter, d’obéir et d’attendre une occasion pour demander ensuite l’explication de ce qu’il n’a point compris. Pourquoi donc en est-il autrement arrivé, dira-t-on, et pourquoi les Juifs rebroussèrent-ils chemin ? Ce fut là un pur effet de leur folie. Lorsque cette douteuse et dangereuse question : « Comment », entre dans l’esprit, l’incrédulité y entre alors avec elle. Ainsi, Nicodème se trouble et s’embarrasse ; ainsi il dit : « Comment un homme peut-il « entrer une seconde fois dans le sein de sa mère ? » (Jn. 3,4) Ainsi se troublent ceux-ci, et ils disent : « Comment celui-ci nous peut-il donner sa chair à manger ? (53) »
Si vous demandez comment cela se peut faire, pourquoi ne dites – vous pas de même des pains : Comment Jésus a-t-il multiplié cinq pains en tant d’autres ? c’est qu’alors ils ne se mettaient en peine que de se rassasier, et qu’ils ne faisaient point d’attention au miracle. Mais ici, direz-vous, l’expérience les a instruits. Donc aussi, vu l’expérience qu’ils avaient déjà faite, ils auraient dû croire plus facilement. Le Sauveur a fait précéder le grand miracle des pains, afin qu’ayant reconnu sa puissance et l’efficacité de sa parole, ils n’y fussent plus incrédules dans la suite. Que si les Juifs, en ce temps-là, n’ont point profité de sa doctrine, ni de sa parole, nous, aujourd’hui, nous en retirons réellement tout le fruit et tout l’avantage. C’est pourquoi il faut apprendre quel est le miracle qui s’opère dans nos mystères, pourquoi ils nous ont été donnés, quel profit, quel avantage il nous en doit revenir. « Nous ne sommes tous qu’un seul corps », dit l’Écriture, « et les membres de sa chair et de ses os ». Que ceux qui sont initiés à nos saints mystères écoutent attentivement ce que je vais dire.
3. Afin donc que nous devenions tels non seulement par l’amour, mais encore réellement, mêlons-nous à cette chair divine. C’est l’effet que produit l’aliment que le Sauveur nous a octroyé pour nous faire connaître l’ardeur et l’excès de son amour. Voilà pourquoi il a uni, confondu son corps avec le nôtre, afin que nous soyons tous comme un même corps, joint à un seul chef. En effet, c’est là le témoignage et la marque d’un ardent amour. Job insinue cette vérité, quand il dit de ses serviteurs qu’ils l’aimaient si fort, qu’ils auraient souhaité de le manger. Car pour marquer leur vif et tendre attachement, ils disaient : « Qui nous donnera de sa chair pour nous en rassasier ? » (Job. 31,31) Voilà ce que Jésus-Christ a fait pour nous ; il nous a donné sa chair à manger pour nous engager à avoir pour lui un plus grand amour, et nous montrer celui qu’il a pour nous ; il ne s’est pas seulement fait voir à ceux qui ont désiré le contempler, mais encore il s’est donné à toucher, à manier, à manger, à broyer avec les dents, à absorber de manière à contenter le plus ardent amour.
Sortons donc de cette table, mes frères, comme des lions remplis d’ardeur et de feu, terribles au démon, pleins du souvenir de