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qu’eux. En effet, les démons ont contre nous une haine implacable, mais du moins ils ne dressent pas de pièges aux autres démons, leurs semblables. Et même Jésus-Christ se servit de cet exemple pour réfuter les Juifs, lorsqu’ils disaient qu’il chassait les démons par Béelzébuth. (Mt. 12,24) Les envieux au contraire ne respectent même pas lés êtres de leur nature ; ils ne s’épargnent pas eux-mêmes ; car avant de nuire à ceux à qui ils portent envie, ils nuisent à leur âme, en la remplissant vainement de trouble et de tristesse.
O homme, pourquoi vous tourmentez-vous du bien qui arrive à votre frère ? vous devriez vous affliger du mal qui vous arrive, et non du bonheur de votre prochain. Voilà pourquoi votre péché est tout à fait indigne de pardon. L’impudique peut s’excuser sur la concupiscence, un voleur sur la pauvreté, un homicide sur la colère ; excuses à la vérité frivoles et insensées, mais pourtant concevables. Pour vous, quel prétexte, je vous prie, quelle excuse donnerez-vous ? Absolument aucune, si ce n’est votre extrême malignité. L’évangéliste nous commande d’aimer nos ennemis (Mt. 5,44) ; à quels supplices serons-nous condamnés, si nous haïssons nos amis ? Et si celai qui aime ses amis, n’a rien fait de plus que ce que font les païens (Id. 46, 47) ; celui qui fait du mal à ceux qui ne l’offensent point, quel pardon, quelle consolation peut-il espérer ? Écoutez saint Paul qui dit : « Quand j’aurais livré mon corps pour être brûlé, si je n’ai point la charité, tout cela ne sert de rien ». (1Cor. 13,3) Or, que là où est la jalousie et l’envie, là il n’y ait absolument point de charité ; c’est ce qu’on ne peut ignorer.
Cette passion est pire que la fornication et l’adultère ; car ces derniers vices s’arrêtent dans celui qui les commet ; mais l’envie étend son tyrannique empire sur tout : elle a renversé des églises entières ; elle a désolé tout l’univers : elle est la mère des meurtres. C’est elle qui a excité Caïn à tuer son frère l’envie a animé Esaü contre. ses frères contre Joseph, le diable contre tout le genre humain. Mais vous ne tuez point ? ah ! vous commettez de bien plus grands crimes que le meurtre, lorsque vous priez pour que votre frère soit couvert d’ignominie, lorsque vous lui tendez des pièges de tous côtés, lorsque vous rendez inutiles tous les travaux qu’il a entrepris pour la vertu, lorsque vous ne pouvez souffrir qu’il soit agréable au Maître du monde. Ce n’est donc pas lui que vous attaquez, mais c’est celui qu’il adore et qu’il sert : voilà celui à qui vous faites un outrage, lorsque vous voulez qu’on vous honore préférablement à lui. Et, ce qui est pire que tout le reste, ce crime énorme, vous n’y voyez qu’une chose indifférente. Que vous fassiez l’aumône, que vous veilliez, que vous jeûniez, vous êtes le plus méchant de tous les hommes, si vous portez envie à votre frère. Les exemples le prouvent : Un Corinthien tomba dans la fornication (1Cor. 5,1), mais il en fut repris et se convertit promptement : Caïn porta envie à Abel, et jamais il ne se guérit ; mais quoique Dieu prodiguât les remèdes à la plaie de son cœur, il s’aigrissait davantage et se hâtait encore plus de commettre le meurtre qu’il avait médité ; d’où vous voyez que cette passion est plus forte et plus violente que l’autre, et que difficilement on s’en délivre, si l’on n’y fait une grande attention.
Arrachons-la donc jusqu’à la racine, cette misérable passion ; considérant que, autant nous offensons Dieu lorsque nous envions la prospérité de notre frère, autant nous lui sommes agréables, lorsque nous nous réjouissons avec le prochain du, bien qui lui arrive ; et que par là nous nous assurons une part des récompenses préparées pour celui qui fait le bien. C’est pourquoi saint Paul nous exhorte à être dans la joie, avec ceux qui sont dans la joie, et à pleurer avec ceux qui pleurent (Rom. 12,15), afin qu’à ces deux titres nous retirions un grand profit. Considérant donc que quoique nous ne travaillions pas nous-mêmes, si nous avons de bons sentiments pour celui qui travaille, nous nous assurons une part de ses couronnes : chassons toute envie et allumons dans nos cœurs le feu de la charité, afin que, par les louanges et les applaudissements que nous donnerons aux belles actions de nos fières, nous acquérions et les biens présents, et les biens futurs, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui soit la gloire au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.