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qui venaient le trouver, donnassent eux-mêmes occasion aux miracles et aux prophéties, afin de se les attacher davantage et d’échapper à tout soupçon de vaine gloire. La conduite qu’il tient envers la Samaritaine est tout à fait pareille. Il jugeait qu’il lui serait désagréable, et même inutile, d’entendre au premier abord ce reproche : « Vous n’avez point de mari » mais le placer après qu’elle en avait donné l’occasion, c’était alors le faire à propos et d’une manière convenable ; par là, il la rend et plus docile et plus attentive. Et à propos de quoi, demandez-vous, Jésus-Christ lui dit-il : « Appelez votre mari ? » Il s’agissait d’une grâce et d’un don qui surpasse la nature humaine : cette femme le lui demandait avec instance. Jésus a dit : « Appelez votre mari », pour lui faire entendre que son mari y devait aussi participer. Elle cache son déshonneur par le désir qu’elle a de recevoir ce don, et croyant parler à un homme, elle répond : « Je n’ai point de mari ». La voilà l’occasion, elle est belle, Jésus-Christ la saisit et lui parle, sur les deux points, avec une grande précision : car il énumère tous les maris qu’elle a eus auparavant, et déclare celui qu’elle cachait. Que fit-elle donc ? Elle ne s’en offensa point, elle ne s’éloigna point pour aller se cacher ; elle ne prit pas le reproche en mauvaise part, au contraire elle en fut dans une plus grande admiration, et n’en devint que plus ferme et plus persévérante ; elle dit : « Je vois bien que vous êtes un prophète ». Au reste, faites attention à sa prudence : elle ne court pas aussitôt à la ville, mais elle s’arrête encore à réfléchir sur ce qu’elle vient d’entendre, et elle en est toute surprise. Car ce mot : « Je vois », veut dire Vous me paraissez un prophète. Puis, une fois qu’elle a conçu ce soupçon, elle ne propose à Jésus-Christ aucune question sur les choses terrestres, ni sur la santé du corps, ni sur les biens de ce monde, ni sur les richesses ; mais promptement elle l’interroge sur la doctrine, sur la religion. Et que dit-elle ? « Nos pères ont adoré sur cette montagne », parlant d’Abraham, parce que les Samaritains disaient qu’il y avait amené son fils. « Et vous autres, comment pouvez-vous dire que c’est dans Jérusalem qu’est le lieu où il faut adorer ? (20) »
3. Ne voyez-vous pas, mes frères, combien l’esprit de cette femme s’est élevé ? Auparavant elle ne pensait qu’à apaiser sa soif, elle ne pense plus maintenant qu’à s’instruire. Que fait donc Jésus-Christ ? Il ne résout pas la question proposée ; car il ne s’attachait pas à répondre exactement à tout, t’eût été une chose inutile. Mais il élève toujours de plus en plus son esprit, et il ne commence à entrer en matière qu’après qu’elle l’a reconnu pour prophète, afin qu’elle ajoute plus de foi à ses paroles. En effet, regardant Jésus-Christ comme un prophète, elle ne doutera point de ce qu’il lui dira.
Quelle honte, quelle confusion pour nous, mon cher auditeur ! cette femme, qui avait eu cinq maris, cette samaritaine, a un si grand désir de s’instruire et de connaître la vraie religion, que ni l’heure, ni aucune affaire ne peuvent la distraire ni la détourner de cette occupation. Et nous, non seulement nous ne faisons point de questions sur des dogmes, mais nous sommes en tout lâches et paresseux. Aussi tout est négligé.
Qui de vous, je vous prie, lorsqu’il est dans sa maison, prend entre ses mains le livre chrétien, en examine les paroles, les lit et les médite avec soin ? Personne ; mais chez plusieurs, nous trouverons des osselets et des dés ; des livres chez personne ou chez un bien petit nombre. Encore ceux-ci n’en font-ils pas plus d’usage que ceux qui n’en ont point : ils les gardent précieusement dans leurs cabinets, bien roulés, ou serrés dans des coffrets, et ne sont curieux que de la finesse du parchemin ou de la beauté du caractère ; car de les lire, c’est de quoi ils ne se mettent nullement en peine. En effet, s’ils achètent des livres, ce n’est pas pour les lire et en profiter, mais pour faire orgueilleusement parade de leurs richesses. Tant est grand le faste que produit la vaine gloire ! Je n’entends pas dire que personne tire vanité de bien comprendre ce que contiennent ses livres, mais plutôt, on se glorifie et on se vante d’avoir des livres écrits en lettres d’or. Et quel avantage, je vous prie, en revient-il ? Les saintes Écritures ne nous ont pas été données pour que nous les laissions dans les livres, mais afin que, par la lecture et la méditation, nous les gravions dans nos cœurs. Certes, il y a une ostentation juive à garder ainsi les livres, à se contenter d’avoir les préceptes écrits sur beau parchemin ; mais sûrement la loi ne nous a pas ainsi été donnée au commencement : elle a été écrite sur des tablettes de chair qui sont nos cœurs. (2Cor. 3,3)