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Jésus à Jacob. Non, je n’ai pas besoin de cette fontaine, disait-elle en elle-même, si vous me donnez l’eau que vous me faites espérer : en quoi vous voyez bien qu’elle le, préfère au patriarche. Voilà la marque d’un bon esprit. Elle a fait paraître qu’elle avait une grande opinion de Jacob : elle vit un homme plus grand que. son premier sentiment ne fut pas capable de l’arrêter. Cette femme ne crut donc pas facilement, et elle ne reçut pas inconsidérément ce qu’on lui disait, puisqu’elle chercha avec tant de soin à s’éclaircir et à découvrir la vérité, mais aussi elle ne fut ni indocile, ni opiniâtre : sa demande le fait bien voir.
Au reste, quand Jésus-Christ a dit aux Juifs a Celui qui mangera de ma chair, n’aura « point de faim : et celui qui croit en moi, n’aura jamais soif » (Jn. 6,35) ; non seulement ils ne l’ont point cru, mais encore ils s’en sont choqués et scandalisés. Cette femme, au contraire, attend et demande ; le Sauveur disait aux Juifs : « Celui qui croit en moi n’aura jamais soif » ; mais à la Samaritaine il ne parle pas de même, il se sert d’une expression plus basse et plus grossière : « Celui qui boira de cette eau n’aura jamais soif ». – Comme cette promesse tombait uniquement sur des choses spirituelles, et non pas sur des choses charnelles et sensibles, Jésus-Christ, élevant l’esprit de la Samaritaine par des promesses, continue à lui proposer des choses sensibles, parce qu’elle ne pouvait pas comprendre encore ce qui était purement spirituel. S’il eût dit : Si vous croyez en moi, vous n’aurez jamais soif ; ne sachant pas qui était celui qui lui parlait, ni de quelle soif il s’agissait, elle ne l’aurait pas compris. Mais pourquoi n’a-t-il pas parlé de même aux Juifs ? parce qu’ils avaient vu beaucoup de miracles, tandis que cette femme n’en avait vu aucun, et que c’était la première fois qu’elle entendait la parole. Voilà pourquoi il va désormais lui révéler prophétiquement sa vertu et sa puissance. Voilà aussi pourquoi il ne la reprend pas d’abord de ses dérèglements. Mais que lui dit-il ? « Allez, appelez votre mari et venez ici (16) ». Cette femme lui répondit : « Je n’ai point de mari ». Jésus lui dit : « Vous avez raison de dire que vous n’avez point de mari (17). Car vous avez eu cinq maris, et maintenant « celui que vous avez n’est pas votre mari vous avez dit vrai en cela (18) ». Cette femme lui dit : « Seigneur, je vois bien que vous êtes prophète (19) ».
Ah ! quelle philosophie dans une femme ! avec quelle douceur ne reçoit-elle pas la réprimande ! Et pourquoi, direz-vous, ne l’aurait-elle pas reçue ? Jésus-Christ n’a-t-il pas souvent repris les Juifs avec plus de force et de sévérité ? car il y a bien plus de vertu et de puissance à pénétrer dans ce qu’il y a de plus caché dans le cœur, qu’à découvrir une action secrète qui s’est passée au-dehors. L’une de ces choses n’appartient qu’à Dieu seul et à celui qui a conçu la pensée dans son esprit ; l’autre est possible à quiconque vit avec nous. Cependant les Juifs s’irritent des réprimandes et des reproches que leur fait Jésus-Christ. Quand il leur dit : « Pourquoi cherchez-vous à me faire mourir ? » (Jn. 7,20), non seulement ils n’en sont pas surpris, comme cette femme, mais ils le chargent d’injures et d’outrages, bien qu’ils eussent devant leurs yeux des preuves et des exemples de beaucoup d’autres miracles, et que la Samaritaine n’eût entendu que cette seule parole. Et non seulement, dis-je, ils n’ont point été étonnés, mais ils l’ont chargé d’outrages, lui disant : « Vous êtes possédé du démon. Qui est-ce qui cherche à vous faire mourir ? » (Id) Celle-ci, au contraire, non seulement elle n’injurie, elle n’outrage point, mais elle est dans l’étonnement et dans l’admiration ; elle honore Jésus-Christ comme un prophète ; quoiqu’il la réprimande plus sévèrement qu’il n’a repris les Juifs. Car enfin, son péché lui était particulier à elle seule, elle seule en était coupable ; au lieu que celui des Juifs était public, et commun à tous. Or nous avons, coutume de n’être pas si humiliés des péchés qui nous sont communs avec bien d’autres, que de ceux qui nous sont propres et particuliers. Et véritablement les Juifs croyaient faire quelque chose de grand en faisant mourir Jésus-Christ ; mais l’action de cette femme, généralement tout le monde la regardait comme mauvaise. Néanmoins, elle ne se fâcha point, elle ne s’emporta point ; au contraire, elle fut dans l’étonnement et dans l’admiration.
Jésus-Christ se conduisit de la même manière à l’égard de Nathanaël. D’abord il ne prophétisa pas, il ne dit pas : « Je vous ai vu « sous le figuier » (Jn. 1,48) ; mais il ne lui fit cette réponse, qu’après qu’il eût dit. « D’où me connaissez-vous ? » Il voulait que ceux