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est certain qu’il ne l’a point attribué à une autre personne inférieure.

« Mais il y en a un au milieu de vous que « vous ne connaissez pas (26) ». L’évangéliste a dit cela, parce que Jésus-Christ, ainsi qu’il était naturel, se mêlait et se confondait au milieu de la foule du peuple, comme s’il eût été lui-même un homme du commun, voulant en tout nous montrer le mépris que nous devons faire de la pompe et du faste. Mais par le mot de « connaissance », il entend la parfaite connaissance, c’est-à-dire qui il était et d’où il était venu. Souvent il a répété ces paroles : « Il doit venir après moi », et c’est comme s’il disait : Ne pensez pas que tout s’accomplisse dans mon baptême : si mon baptême était parfait, un autre ne viendrait pas après moi vous apporter un autre baptême : le mien n’est qu’une certaine préparation à celui-ci : ce que nous faisons n’est qu’une ombre et une figure ; il faut qu’il en vienne un autre, pour vous apporter la vérité. C’est pourquoi ce mot : « Celui qui va venir après moi », marque principalement sa dignité. Car si le premier baptême était parfait, il ne serait nullement nécessaire de recourir à un autre. « Il est avant moi », c’est-à-dire il est plus honorable et plus illustre que moi. Après quoi, de peur qu’ils ne crussent que c’était par comparaison à lui, que Jésus-Christ était plus grand et plus excellent ; pour faire voir qu’il n’y a nulle comparaison à faire, il ajoute : « Je ne suis pas digne de dénouer les cordons de ses souliers (27) », c’est-à-dire : non seulement il est avant moi, mais il est tel que je ne mérite pas d’avoir même une place parmi ses derniers serviteurs ; car déchausser, c’est le ministère le plus bas. Que si Jean-Baptiste n’est pas digne de dénouer les cordons de ses souliers, ce. Jean-Baptiste, dont il est dit, qu’ « entre tous ceux qui sont nés des femmes, il n’en est point né de plus grand que lui » (Lc. 7,18), en quel rang nous-mêmes nous mettrons-nous, si celui qui était égal à tout le monde, ou plutôt qui était plus grand et au-dessus, qui était du nombre de ceux dont saint Paul dit que « le monde n’en était pas digne » (Héb. 6,38), se dit indigne d’être compté parmi les derniers serviteurs, que dirons-nous, nous qui sommes autant au-dessous de la vertu de Jean-Baptiste que la terre est éloignée du ciel ?

4. Jean-Baptiste se dit donc indigne de dénouer les cordons des souliers, mais les ennemis de la vérité tombent dans un si grand excès de folie, qu’ils osent se prétendre dignes de connaître Dieu, comme il se connaît lui-même : peut-on voir rien de pire qu’une telle démence ? rien de plus insensé qu’une telle présomption ? Un sage l’a fort bien dit : « Le commencement de l’orgueil est de ne point connaître Dieu[1] ». (Sir. 10,14) Celui qui devint le diable ne le serait point devenu, n’aurait pas été chassé du paradis, s’il n’eût été possédé de cette maladie : C’est là ce qui a causé sa disgrâce, c’est là ce qui l’a précipité dans l’enfer, ce qui a été la source de tous ses maux. En effet, ce vice suffit pour gâter tout ce qu’il y a de bon dans une âme : aumône, oraison, jeûne, que sais-je encore ? « Ce qui est grand aux yeux des hommes est impur[2] devant Dieu ». (Lc. 16,16) Ce n’est donc pas seulement la fornication, ni l’adultère qui souille l’homme, c’est encore et surtout l’orgueil. Pourquoi ? parce qu’à l’égard de la fornication, quoiqu’elle soit indigne de pardon, l’homme néanmoins peut s’excuser sur sa concupiscence : mais l’orgueil n’a ni cause, ni excuse à prétexter, qui puisse lui fournir une ombre de justification : il n’est autre chose qu’un renversement d’esprit, une très-grande et très cruelle maladie qui vient uniquement de la démence : car il n’est rien de plus insensé que l’homme orgueilleux, fût-il très riche, eût-il toute la sagesse du monde, fût-il très-puissant, possédât-il, en un mot, tout ce que les hommes, regardent comme digne d’envie. Si celui que les vrais biens enorgueillissent est malheureux et misérable ; s’il perd toute la récompense qu’il en pouvait espérer : celui qui s’élève pour des choses qui n’ont rien de réel, qui enfle son tueur pour une ombre, pour la fleur de l’herbe, car la gloire mondaine n’est pas autre chose[3], n’est-il pas le plus ridicule de tous les hommes ? Pareil à un pauvre

  1. Ou bien comme on lit dans les Septante : « Le commencement de l’orgueil de l’homme est de se révolter contre Dieu, et d’éloigner son cœur de celui qui nous a faits ». Ou encore comme notre Vulgate : « Le commencement de l’orgueil de l’homme est de commettre une apostasie à l’égard de Dieu ». Ce qui peut fort bien s’appliquer et à la chute de Lucifer ; et à la chute d’Adam. On peut encore l’entendre du mépris de Dieu, qui accompagne toutes sortes de péchés. L’orgueil, le mépris de Dieu, source de tous péchés. Nullum peccatum fieri potest, potuit, aut poterit sine superbia : siquidem nihil aliud est omne peccatum, nisi contemptus Dei. S. Prosp de vita contemplat lib. 3, chap. 3 et 4.
  2. Saint Chrysostome dit : ὰχαθαρτὀν, impurum, le texte grec du N. Test lit. βδελυτμα, abominatio. La différence des mois ne change point le sens : ce qui est impur devant Dieu, est en abomination devant lui.
  3. Toute la gloire de l’homme, dit saint Pierre, est comme la fleur de l’herbe. (1Pi. 1,24)