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Et encore, lorsqu’il vint au Jourdain, toutes les villes accoururent en foule, et de Jérusalem et de toute la Judée on venait à lui pour être baptisé. Les prêtres et les lévites interrogent donc Jean ; ce n’est pas qu’ils ne sachent qui il est, (il était trop bien connu) ; mais c’était pour le porter à se dire le Christ, comme je l’ai dit ci-dessus.
2. Écoutez donc, mes frères,.comment ce saint homme répond à la pensée de ceux qui l’interrogent et non à la demande qu’ils lui font. Lorsqu’ils lui disent : « Qui êtes-vous ? » il ne répond pas d’abord ce qu’il semblait naturel de répondre : « Je suis la voix de celui qui crie dans le désert » ; mais il impose silence à leurs conjectures. Car sur la demande : « Qui êtes-vous ? » l’Écriture dit : « Il confessa, et il ne le nia point ; il confessa qu’il n’était point le Christ (20) ». Faites ici attention à la sagesse de l’évangéliste : il répète trois fois cette réponse, pour faire connaître la vertu de Jean-Baptiste et la méchanceté et la folie de ces ambassadeurs. Et saint Luc dit que le peuple, que tous pensant en eux-mêmes qu’il était le Christ (Lc. 3,15), il avait lui-même éloigné et étouffé cette pensée. C’est le devoir d’un bon et fidèle serviteur, non seulement de ne point s’arroger la gloire qui n’est due qu’à son maître, mais encore de rejeter celle que la multitude veut ôter à celui-ci pour la lui donner à lui-même.
Le peuple à la vérité avait conçu ce sentiment par simplicité et par ignorance ; mais les prêtres et les lévites, comme j’ai dit, faisaient cette question dans une intention maligne ; ils espéraient par leur adulation obtenir ce qu’ils désiraient ; s’ils ne sen fussent pas flattés, ils n’auraient pas aussitôt passé à une autre demande, mais ils se seraient plaints de ce que Jean-Baptiste n’avait pas répondu à leur question, et ils auraient dit : Est-ce que nous avons eu cette pensée ? Est-ce là ce que nous sommes venus te demander ? Étant donc comme pris et découverts, ils passent vite à une autre question, et ils lui demandent : « Quoi donc ? Êtes-vous Élie ? Et il leur répondit : Je ne le suis point (21) ». En effet, ils attendaient Élie, comme Jésus-Christ le dit. Car « ses disciples l’ayant interrogé, et lui ayant dit : Pourquoi donc les scribes disent-ils qu’il faut qu’Élie vienne auparavant ? Il leur répondit : Il est vrai qu’Élie doit venir et qu’il rétablira toutes choses ». Ils poursuivent ensuite, et ils lui demandent « Êtes-vous LE prophète[1] ? Et il leur répondit « Non ». (Mt. 17,10-11) Et cependant il était prophète ; pourquoi donc répond-il négativement ? C’est qu’il répond encore à l’esprit et à la pensée de ceux qui l’interrogent : ils attendaient un grand prophète, parce que Moïse avait dit : « Le Seigneur votre Dieu vous suscitera un prophète comme moi d’entre vos frères ; écoutez-le ». (Deut. 18,15) Et Jésus-Christ était ce prophète. Voilà pourquoi ils ne disent pas : Êtes-vous prophète, du nombre des prophètes ? mais ils disent avec l’article : Êtes-vous LE prophète qui a été prédit par Moïse ? C’est pour cela qu’il a nié, non qu’il était prophète, mais ce prophète. « Ils lui dirent donc : » mais « qui êtes-vous, afin que, nous rendions réponse à ceux qui nous ont envoyés ? Que dites-vous de vous-même ? (22) » Ne voyez-vous pas qu’ils pressent, qu’ils poursuivent leurs interrogations, qu’ils ne cessent point de le questionner, et que lui, au contraire, ayant auparavant repoussé avec douceur leur fausse opinion, établit le vrai sentiment qu’ils doivent avoir de lui ; car il leur dit : « Je suis la voix de celui qui crie dans le désert : Rendez droite la voie du Seigneur, comme a dit le prophète Isaïe (23) ». Comme Jean-Baptiste avait parlé de Jésus-Christ d’une manière grande et sublime ; eu égard à l’opinion qu’ils en avaient, il a promptement recours au prophète, et il s’appuie de son témoignage pour gagner la confiance de ses auditeurs.
« Or, ceux qu’on lui avait envoyés », dit l’évangéliste, « étaient des pharisiens (24) ; ils « lui firent » encore « une nouvelle » demande, « et lui dirent : Pourquoi donc baptisez-vous, si vous n’êtes ni le Christ, ni Élie, ni prophète ? (25) » Ceci vous fait voir, mes frères, que je n’ai pas témérairement dit qu’ils avaient voulu l’amener là, « ou l’engager à se déclarer le Christ ». Et certes, au commencement ils ne s’expliquaient pas si nettement, de crainte que tout le monde ne découvrît

  1. « Le Prophète ». J’exprime avec les plus savants commentateurs grecs « l’article » qui est dans le grec, qui marque un prophète particulier que les Juifs attendaient, comme le prophète prédit par Moïse, ainsi que l’observe le saint Docteur. Cet article est même si absolument nécessaire en cet endroit, que sans lui l’explication et la réflexion de saint Chrysostome n’ont point de sens, et ne peuvent être entendues. Ainsi, demander à Jean-Baptiste : « Êtes-vous le prophète ? » c’était dire : Êtes-vous celui que nous attendons, ce grand prophète ; ce prophète par excellence, promis par Moise. Voilà pour quoi il répond : « Je ne le suis pas, c’est-à-dire, je ne suis pas le Messie ».