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Rien en effet n’est plus brillant, mes chers frères, qu’une vie bien réglée. Le sage le déclare : « La voie des justes », dit-il, « brillera comme la lumière ». (Prov. 4,18) Certes, elle éclairera non seulement ceux qui allument leurs lampes par leurs bonnes œuvres, et qui marchent dans la voie droite, mais encore tous leurs voisins : mettons donc de l’huile dans ces lampes, afin que le feu en soit plus vif et la lumière plus abondante. Ce n’est pas seulement aujourd’hui que cette huile a une grande force, elle a fait aussi merveilleusement éclater la vertu de ceux qui ont vécu au temps des sacrifices. C’est pourquoi Dieu dit : « C’est l’huile[1] que je veux, et non le sacrifice ». (Os. 6,6 ; Mt. 9,13) Et en vérité, rien de plus juste. L’autel des sacrifices était inanimé, mais notre autel est animé ; le feu consumait tout, tout se réduisait en cendres et se dissipait, la fumée s’évanouissait dans l’air : mais ici, il n’arrive rien de semblable ; il se produit d’autres fruits. C’est ce que déclare saint Paul, lorsque, décrivant les trésors de charité des Corinthiens, il dit : « Cette obligation, dont nous sommes les ministres, ne supplée pas seulement aux besoins des saints ; mais elle est riche et abondante envers Dieu, par le grand nombre d’actions de grâces qu’elle lui fait rendre ». Et encore : « Parce que ces saints se portent à glorifier Dieu de la soumission que vous témoignez à l’Évangile de Jésus-Christ, et de la bonté avec laquelle vous faites part de vos biens, soit à eux, soit à tous les autres, et à témoigner par les prières qu’ils font pour vous, l’amour qu’ils vous portent ». (2Cor. 9,12-14) Ne voyez-vous pas qu’ici l’offrande aboutit à des actions de grâces, à un tribut d’hommages, à des prières continuelles de la part des pauvres secourus, à un redoublement de charité ?
Sacrifions donc, mes chers enfants, sacrifions tous les jours sur ces autels. Ce sacrifice est plus excellent que les prières, que le jeûne et mainte autre pratique, pourvu qu’on le fasse d’un bien acquis légitimement par un honnête travail, et qui ne soit point souillé d’avarice, de rapine ou de violence. Telles sont les oblations que Dieu reçoit ; il hait, il rejette les autres. Il ne veut pas qu’on l’honore au détriment d’autrui ; un pareil sacrifice est impur et profane ; il irritera plutôt Dieu qu’il ne l’apaisera. C’est pourquoi nous devons apporter tous nos soins et toute notre vigilance à ne pas outrager, sous prétexte d’hommage, celui que nous voulons honorer. Si Caïn, pour avoir offert à Dieu la moindre et la plus vile partie de ses biens (Gen. 4), sans toutefois avoir fait tort à personne, fut puni, ne recevront-ils pas un plus rigoureux châtiment, ceux qui lui présenteront les fruits de leurs rapines et de leur avarice ? Si Dieu nous a donné ce précepte, c’est pour que nous fassions l’aumône au prochain, et non pour que nous l’opprimions. Celui qui ravit le bien d’autrui et le donne à un autre, celui-là n’est point miséricordieux, mais injuste et souverainement criminel. Comme donc on ne tire pas de l’huile d’une pierre, la cruauté de même ne produit pas l’humanité. On ne peut pas appeler aumône ce qui sort de cette source impure.
Je vous conjure donc, mes frères, de n’être point seulement zélés et attentifs à donner l’aumône, mais encore de ne pas la faire au préjudice du prochain. Car « si l’un prie et que l’autre maudisse, de qui Dieu exaucera-t-il la voix ? » (Sir. 34,29) Si nous sommes ainsi vigilants sur nous-mêmes, nous pourrons, par la grâce de Dieu, obtenir ses bontés, sa clémence, sa miséricorde, la rémission de tous les péchés que nous avons commis pendant notre vie, et éviter le fleuve de feu. Fasse le ciel que nous nous en garantissions tous, et que tous nous entrions dans lé royaume des cieux, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui la gloire soit au Père et au Saint-Esprit, dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.

  1. Saint Chrysostome lit ici ελαιον (huile) et non ελεον (miséricorde) : ces deux mots se prononçant de même, la confusion s’explique aisément. Au reste, le sens est le même puisque l’huile est prise dans l’Écriture pour le symbole de la miséricorde. Voyez, dans le commentaire sur saint Matthieu, l’explication de la parabole des dix vierges. (Chap. 25)