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prêcher le premier, ne croyez pas pour cela que je sois plus grand que lui : je suis de beaucoup inférieur à lui, et si inférieur, que je ne suis pas digne d’être même regardé comme son serviteur. Et c’est là ce que signifient ces paroles : « Il est avant moi » : idée que saint Matthieu exprime autrement, en disant : « Et je ne suis pas digne de délier les cordons de ses souliers[1] ». (Mt. 3,11) Or que ces paroles : « Il est avant ; moi », ne s’entendent point de la naissance de Jésus-Christ, celles qui suivent le montrent visiblement : si Jean-Baptiste avait voulu qu’elles s’entendissent de la naissance, il lui eût été inutile d’ajouter : « Parce qu’il est plus ancien que moi ». Qui en effet eût été assez stupide et assez fou pour ignorer que celui qui était né avant lui était plus ancien que lui ? Que si l’on entend ces paroles, de cette existence qui est avant les siècles, elles ne signifient autre chose que ceci : « Celui qui vient après moi, est avant moi » ; autrement il aurait parlé inconsidérément, et ce serait en vain qu’il aurait produit la raison de cette ancienneté. Encore une fois, s’il avait voulu parler de la naissance, il devait construire sa phrase d’une autre façon, et dire : « Celui qui vient après moi, est plus ancien que moi, parce qu’il est né avant moi » : car que quelqu’un soit avant, on en peut justement donner cette raison, qu’il est né le premier ; mais on n’établit point qu’une personne est née avant une autre en disant qu’elle est la première.
Ce que nous disons là est juste et bien fondé, vous le savez tous : c’est des choses obscures, qu’il faut donner la raison et l’explication, et non de celles qui sont claires et évidentes. Si ce discours tombait sur la naissance, il n’y aurait ni doute, ni difficulté à admettre que le premier est le premier né mais comme Jean parle de la dignité et de la prééminence, il a raison d’ôter la difficulté qui y paraissait. Effectivement, il est vraisemblable que plusieurs auraient eu des doutes, et n’auraient pu concevoir comment et pour quelle raison celui qui est venu après, est avant, c’est-à-dire, est plus honorable. Voilà pourquoi Jean-Baptiste en donne aussitôt la raison : c’est parce que, dit-il, « il est plus ancien que moi » : Ce n’est pas, dit-il, que, me trouvant d’abord devant lui, il ait réussi à prendre le pas sur moi : mais il est plus ancien que moi, quoiqu’il vienne après moi.
Mais comment, direz-vous, si Jean a en vue l’éclatant avènement du Christ et la gloire qui doit l’accompagner, parle-t-il d’une chose qui n’était point encore, comme si déjà elle était arrivée ? car il ne dit pas : il sera, mais il est c’est parce que depuis la plus haute antiquité les prophètes étaient dans l’usage d’annoncer les choses futures, comme si elles étaient déjà accomplies. Isaïe, parlant de la mort de Jésus-Christ, n’a point dit : « Il sera mené à la mort comme une brebis qu’on va égorger » : ce qui devait arriver ; mais : « Il a été mené à la mort comme une brebis qu’on va égorger[2] ». (Is. 53,7, 70) Et toutefois il ne s’était point encore incarné ; mais le prophète raconte ce qui devait arriver, comme étant déjà accompli. Et David, prédisant le crucifiement, n’a point dit : ils perceront mes mains et mes pieds ; mais : « Ils ont percé mes mains et mes pieds ». Et : « ils ont partagé entr’eux mes habits, et ils ont jeté le sort sur ma robe ». (Ps. 21,18-19) Et parlant du traître Judas, qui n’était point né encore, il dit. « Celui qui mangeait avec moi, a fait éclater sa trahison contre moi ». (Ps. 40,10) De même, rapportant ce qui s’est passé, lorsqu’il était attaché sur la croix, il dit : « Ils m’ont donné du fiel pour ma nourriture, et dans ma soif ils m’ont présenté du vinaigre à boire ». (Ps. 68,26)
4. Voulez-vous que nous vous apportions encore d’autres autorités, ou celles-là vous suffisent-elles ? pour moi, je le crois. Si nous n’avons pas donné toute son étendue au sujet que nous venons d’examiner, du moins nous l’avons suffisamment approfondi. Et certes il n’y a pas un moindre travail à ceci qu’à cela, et nous craindrions de vous ennuyer, si nous vous arrêtions plus longtemps sur cette question. Finissons donc : cela est juste. Mais par où finirons-nous le mieux ? C’est en rendant à Dieu la gloire qui lui est due, et cela, non seulement par nos paroles, mais encore plus par nos œuvres.
Que votre lumière luise, dit Jésus-Christ, « afin qu’ils voient vos bonnes œuvres, et « qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux ». (Mt. 5,16)

  1. Saint Matthieu, que cite le saint Docteur, dit : « Et je ne suis pu digne de porter ses souliers ». Mais saint Marc et saint Luc disent : « de dénouer le cordon de ses souliers ». (Mc. 1, 7 ; Lc. 3,16) Tout revient au même. La différence ne doit point arrêter.
  2. Il faut observer que c’est ici la leçon des Septante. Notre Vulgate dit : « Il sera mené à la mort ».