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et dans un moment elle porte à des excès déplorables, et nous fait commettre les actions les plus tragiques : « Parce que », dit l’Écriture, « l’émotion de la colère qu’il a dans le cœur est sa ruine ». (Sir. 1,22)
Retenons donc cette bête avec le frein : retenons-la par la crainte du jugement futur ; c’est le mors le plus fort et le plus puissant de tous. Lorsqu’un ami vous aura offensé, ou qu’un des vôtres vous aura irrité, pensez à la multitude des péchés que vous avez commis contre Dieu, et considérez que si vous savez vous retenir et vous modérer, vous serez traité avec moins de rigueur au jour du jugement, car Jésus-Christ dit : « Remettez, il vous sera remis » (Lc. 6,37), et aussitôt vous serez guéri de votre maladie.
Mais je veux encore que vous examiniez si, lorsqu’il vous est arrivé de vous mettre en colère, vous ne vous êtes pas quelquefois retenu et si quelquefois aussi vous ne vous êtes pas laissé emporter : la comparaison que vous ferez de ces deux états vous aidera beaucoup à vous corriger. Dites-moi, je vous prie, quand est-ce que vous vous êtes applaudi vous-même ? Est-ce lorsque la colère vous a surmonté, ou lorsque vous l’avez surmontée ? N’est-il pas vrai que lorsque nous y avons succombé, nous nous blâmons fortement nous-mêmes, nous rougissons, quoique personne ne nous fasse aucun reproche, et par nos paroles et nos actions nous donnons de grandes marques de repentir ; et que lorsqu’au contraire nous l’avons vaincue, nous nous réjouissons, nous tressaillons d’allégresse, comme venant de remporter une victoire ? Pour un homme en colère, la victoire ne consiste pas à rendre la pareille (ce qui est au contraire la pire défaite) ; elle consiste à souffrir courageusement le mal qu’on nous a fait, ou qu’on a dit de nous. En effet, l’avantage ne reste pas à celui qui a fait le mal, mais a celui qui l’a enduré.
Lors donc que vous vous mettez en colère, ne dites point : il faut que je rende la pareille, il faut que je me venge ; et à ceux qui vous exhortent à vous contenir, ne répondez pas non, je ne souffrirai point qu’après s’être moqué de moi, il demeure impuni. Sachez qu’il ne se moquera véritablement de vous, que lorsqu’il vous verra user de vengeance ; mais s’il rit, s’il se moque de vous, quand vous vous tenez tranquille et en repos, il fait l’action d’un fou.
Pour vous, n’ambitionnez point pour votre victoire les éloges des insensés ; contentez-vous de ceux que les sages vous donneront : mais à quoi pensé-je de vous proposer un public infime, un public composé d’hommes ? Tournez-vous plutôt vers Dieu, c’est lui qui vous approuvera. Fort d’un tel suffrage, gardez-vous de rechercher la gloire que dispensent les hommes. Leurs éloges sont dictés souvent par la faveur ou par un esprit de rivalité, et encore leurs louanges ne sont-elles d’aucune utilité ; mais le suffrage de Dieu est impartial et souverainement utile à celui qui en est honoré ; ce sont donc là les louanges et la gloire que nous devons chercher. .
5. Voulez-vous connaître quel mal c’est que la colère ? Arrêtez-vous sur la place, quand vous y verrez des gens se quereller : vous ne pourriez pas facilement découvrir sur vous-même toute la laideur de cette infirmité, votre raison étant alors ensevelie dans l’ivresse et dans les ténèbres ; mais lorsque vous ne serez point ému de cette passion, et que votre jugement ne sera point prévenu, alors regardez-vous et contemplez-vous vous-même dans les autres. Voyez cette foule de peuple qui s’amasse de tous côtés, ces hommes en colère qui étalent en public leur honteuse folie ; dès que la colère vient à bouillonner, à exciter le cœur, à l’exaspérer, le feu sort et des yeux et de là bouche ; le visage s’enfle, les mains s’agitent de mouvements désordonnés, les pieds trépignent ridiculement, prêts à frapper ceux qui cherchent à intervenir dans ces transports insensés ; l’homme en colère ressemble absolument à un fou : il ne diffère même pas de ces ânes sauvages qui ruent et qui mordent. L’homme irascible est incapable de se modérer.
Mais les acteurs de ces scènes ridicules, de retour ensuite dans leurs maisons, rentrant en eux-mêmes et réfléchissant sur ce qu’ils viennent de faire, sont tout à la fois saisis de douleur et de crainte : alors ils cherchent et repassent dans leurs esprits ceux qui ont été présents à leur querelle : et ces mêmes hommes qui, pareils à des fous, ne faisaient nulle attention à ceux qui les regardaient, se demandent ensuite, leur sang-froid une fois revenu, quels étaient les assistants. Étaient-ce des amis, des ennemis ? ils craignent également les uns et les autres : ceux-là pour leurs reproches, qui les feront rougir de honte et de confusion ;