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« Et le Verbe était Dieu », de peur que quelqu’un ne pensât que la divinité du Fils n’était pas égale à celle du Père, elle produit et présente aussitôt des témoignages de sa vraie divinité, en déclarant son éternité par ces paroles : « Il était au commencement avec Dieu » ; et encore : en lui attribuant la puissance de créer, et disant de lui : « Toutes choses ont été faites par lui, et rien de ce qui a été fait, n’a été fait sans lui » : puissance que son Père donne partout par la bouche des prophètes pour être le plus grand et le plus visible témoignage de sa nature divine. Les prophètes reviennent souvent sur cette sorte de démonstration, et cela, non sans motif, parce qu’ils ont en vue l’abolition du culte des idoles. Car, « Périssent les dieux », dit Jérémie, « qui n’ont point fait le ciel et la terre » (Jer. 10,11) : et ailleurs : « C’est moi qui de ma main ai étendu le ciel ». (Is. 44,24) Le Père voulant donc montrer que c’est là une preuve visible et manifeste de sa divinité, la met partout, et partout il l’emploie : mais l’évangéliste, non content encore de ce qu’il a dit du Fils, l’appelle aussi « vie » et « lumière ».
Si donc le Fils a toujours été avec le Père, si tout a été fait par lui, si c’est lui qui maintient et conserve toute chose, car c’est ce que marque saint Jean en disant qu’il est la vie ; s’il illumine tout, qui sera assez fou pour dire que l’évangéliste a ainsi mis et placé ces mots[1] pour diminuer la divinité du Fils, tandis qu’il se sert au contraire de la preuve la plus forte pour établir son égalité et sa parfaite ressemblance avec le Père ?
Je vous en conjure ; mes chers frères, ne confondons point la créature avec le Créateur, de peur que nous n’entendions dire aussi de nous-mêmes : « Ils ont rendu à la créature l’adoration et le culte souverain, au lieu de le rendre au Créateur ». (Rom. 1,25) En vain l’on dirait qu’il faut entendre ces paroles des cieux, elles interdisent absolument le culte de la créature, qui est proprement l’idolâtrie.
4. Ne nous exposons donc pas à une si grande malédiction. Le Fils de Dieu est venu au monde pour nous délivrer de ce culte. Il a pris la forme de serviteur pour nous délivrer de cet esclavage : c’est encore pour cela qu’il a bien voulu être déshonoré par d’infâmes crachats et de honteux soufflets, et souffrir une mort très-ignominieuse. Ne nous rendons pas inutiles toutes ces grâces et ces bienfaits, je vous en conjure, mes frères, et ne retournons pas à notre ancienne impiété, ou plutôt à une impiété plus grande et plus énorme : car il est d’une injustice extrême de rendre à la créature l’adoration et le culte souverain, et d’abaisser le Créateur jusqu’à la bassesse de la créature autant qu’il est en nous : car cela ne l’empêche pas certes de subsister tel qu’il est ; « mais « pour vous », dit le Prophète, « vous êtes ton« jours le même, et vos années ne passeront « point ». (Ps. 101,28) Glorifions-le donc comme nous l’avons appris de nos pères : glorifions-le par notre foi et par nos œuvres. Car la foi et la doctrine sont inutiles pour le salut, si la vie est corrompue.
C’est pourquoi, réglons-la sur la volonté de Dieu : écartons, chassons loin de nous toute action déshonnête, toute injustice, toute avarice : soyons comme des étrangers hors de leur pays et de leur maison, soyons très-indifférents pour les choses présentes. Si quelqu’un a de grandes richesses et de grands biens (1Cor. 7,30-31), qu’il en use comme un voyageur qui doit partir dans peu, soit qu’il le veuille ; ou qu’il ne le veuille pas : si quelqu’un a reçu une injure, qu’il ne garde pas éternellement sa colère, ou plutôt qu’il ne l’écoute jamais : l’apôtre ne la souffre que pour un seul jour : « Que le soleil », dit-il, « ne se couche point « sur votre colère ». (Eph. 4,26) Et cela est véritablement juste : il est à craindre que la colère, quelque courte qu’elle soit, ne nous porte à de fâcheux et de funestes excès, et même il est difficile de l’empêcher ; mais si la nuit nous y surprend, tout devient plus difficile et plus dangereux, parce qu’alors le souvenir de l’injure allume un grand feu dans le cœur, et qu’agités de cruelles pensées, nous sommes un long temps à en garder l’amer souvenir. Saint Paul veut donc que nous prévenions et nous éteignions le mal avant que la nuit, que le temps du repos nous surprenne, et vienne attiser l’incendie.
La colère est une violente agitation plus vive et plus furieuse que la flamme même voilà pourquoi il n’y a nul temps à perdre, et l’on ne peut user de trop de diligence pour prévenir le feu et empêcher que la flamme ne s’élève. En effet, cette passion cause une infinité de maux : elle renverse les maisons, elle rompt les anciennes amitiés ; en peu de temps,

  1. Ces mots, c’est-à-dire : τὸν θεὸν, en parlant du Père, et τὸν θεὸν, en parlant du Fils.