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ne sont pas moins anciens que celui par qui ils sont, pourquoi ne le croyez-vous pas de même de la nature invisible et ineffable ? C’est la même chose ici, autant que la nature divine le comporte.
C’est aussi pour cette raison que saint Paul appelle ce même Fils d’un nom, par lequel il déclare tout à la fois, et qu’il émane du Père, et qu’il lui est coéternel. (Héb. 1, 3) Quoi donc ! N’est-ce pas par lui que tous les siècles et le temps ont été faits ? Il faut que tout homme, s’il n’est devenu fou, le confesse. Il n’y a donc point d’espace de temps entre le Fils et le Père. S’il n’y en a aucun, le Fils n’est donc pas moins ancien, il est coéternel : car « avant » et « après » sont des termes qui marquent le temps, qui le supposent. Or, Dieu est au-dessus des temps et des siècles.
Mais abrégeons : que si vous vous entêtez à soutenir que le Fils a un commencement, prenez garde que vous ne soyez forcé, par la même raison, à donner aussi au Père un commencement : à la vérité plus ancien, mais qui pourtant sera toujours un commencement. En effet, répondez-moi : prescrire ainsi un terme et un commencement au Fils, et avancer, pousser au-delà de ce commencement, n’est-ce pas dire que le Père existait auparavant ? Certes, cela est visible. Dites-moi donc : de quel espace de temps le Père a-t-il la préexistence sur le Fils ? Car, soit que vous le disiez court, soit que vous le disiez long, vous avez dès lors renfermé le Père sous un commencement. En effet, après avoir mesuré cet espace de temps, vous nous direz s’il est ou court ou long ; mais une telle détermination serait impossible, s’il n’y avait des deux parts un commencement ; il est donc vrai, qu’autant qu’il est en vous, vous avez donné un commencement au Père, et ainsi, selon vous, le Père même aura un commencement.
Par là, mes chers frères, vous pouvez parfaitement connaître la vérité de cette parole du Sauveur, et que ce qu’il dit est en tout et partout un témoignage de sa vertu et de sa sagesse : mais que dit-il ? « Celui qui n’honore « pas le Fils, n’honore pas le Père[1] ». Je sais qu’il y a bien des gens qui ne comprennent pas ces choses. Voilà pourquoi nous évitons souvent d’agiter ces questions de raisonnement, parce qu’elles ne sont pas à la portée du peuple, ou que, s’il y entend quelque chose, il n’y trouve rien d’assez solide ni d’assez inébranlable : car « les raisons des hommes sont sujettes à erreur, et leurs pensées sont trompeuses ». (Sag. 9,14)
Au reste, je voudrais bien demander à nos adversaires ce que signifient ces paroles du prophète : « Il n’y a point eu d’autre Dieu avant moi, et il n’y en aura point après moi ». (Is. 43,10 ; 45, 22) Car si le Fils est moins ancien que le Père, comment le Père dit-il : « Il n’y en aura point après moi ? » Nierez-vous donc la substance du Fils unique ? Il faut, en effet, ou que vous en veniez jusqu’à cet excès d’impudence, ou que vous reconnaissiez et confessiez la divinité dans là propre hypostase du Père et du Fils. Mais comment ces paroles : « Tout a été fait par lui », sont-elles vraies ? Si le temps est plus ancien que lui, comment ce qui est avant lui a-t-il été fait par lui ? Ne voyez-vous pas maintenant, mes frères, dans quel abîme de témérité et d’impudence le raisonnement a jeté ces hérétiques pour s’être une fois écartés de la vérité ?
Mais pourquoi l’Évangéliste n’a-t-il pas dit que le Fils a été fait de choses qui n’étaient point, comme saint Paul le déclare et l’assure de toutes choses, par ces paroles : « Qui a appelé ce qui n’est point comble ce qui est » (Rom. 4,17), et pourquoi dit-il : « Au commencement était le Verbe », car ces paroles de saint Jean sont contraires à celles de saint Paul ? A quoi je réponds que c’est avec justice et avec raison que l’Évangéliste s’explique ainsi, car Dieu n’est point fait, et il n’y a rien avant lui. Mais, disons-le, ces discours ne peuvent sortir que de la bouche des païens.
Répondez-moi sur ceci : Ne conviendrez-vous pas que le Créateur est incomparablement plus excellent que toutes lies créatures ? Mais si ce qui est créé de rien lui[2] était semblable, où se trouverait-elle alors cette excellence incomparable ? Et de plus, comment expliquerez-vous ces paroles : « C’est moi qui suis le premier et le dernier » (Is. 41,4), et : « Il n’y a point eu d’autre Dieu avant moi ? » (Is. 43,10) Car si le Fils n’est pas consubstantiel au Père, il y a un autre Dieu :

  1. Ce passage ne se trouve point dans les Évangiles quant aux paroles, mais seulement quant au sens. Les Pères citent quelquefois de mémoire, s’attachant plus au sens qu’aux paroles.
  2. Au lieu d’ αὐτοῖς, que je trouve dans le texte qui est sous mes yeux, je ne puis m’empêcher de lire auto. Avec αυτῶ, le sens est clair, concordant et parfait, et le raisonnement concluant. Avec αὐτοῖς, il n’y a plus même de sens possible. (J.- B. J)