d’ici-bas, on a bien souvent corrompu la justice, acheté les juges, échappé au châtiment, il proclame bien haut que la justice divine est incorruptible ; en ajoutant ces paroles, il augmente la crainte dont il nous parlait d’abord, et il montre par là qu’il avait raison de dire que nous n’avons à craindre que le péché, et pas autre chose. Là, il n’est pas possible de corrompre la justice à prix d’argent, ni de s’arracher aux tourments de la géhenne en prodiguant les présents ; il n’y a plus ni protection, ni plaidoirie, ni rien de semblable qui puisse nous sauver. Soyez riche, soyez puissant, soyez connu, tout cela est vain et inutile. Là, chacun est puni ou couronné selon ses actes. Le riche qui vivait du temps de Lazare était bien riche, à quoi lui a servi sa richesse ? (Lc. 16) Les vierges folles étaient connues des vierges sages (Mt. 25), eh bien ! ces relations ne leur ont été d’aucune utilité ; là, en effet, on ne demande qu’une chose. Vous donc, dit le Prophète, qui êtes fiers de votre richesse, qui êtes puissants, vous vous enorgueillissez en pure perte ; car rien de tout cela ne vous suivra par-devant l’auguste tribunal, ni l’immensité de vos richesses, ni votre puissance. Il n’y aura ni alliance de famille, ni parenté, ni rien de pareil qui puisse vous délivrer du danger. Là on ne peut se sauver ni en prodiguant l’argent, ni en achetant la miséricorde de Dieu, ni en payant la rançon de son âme. Que dit donc l’Écriture ? « Servez-vous de l’inique Mammon pour vous faire des amis, afin qu’il vous fasse recevoir dans les tentes éternelles. (Lc. 16,9) Quel est le sens de ces paroles ? Il n’est nullement contraire, nullement opposé à ce qui précède : loin de là, il s’y rapporte parfaitement. Dans la vie présente, il faut se faire des amis en donnant de l’argent, en dépensant sa fortune pour ceux qui sont dans le besoin. Dans ce passage, l’Évangéliste n’a donc en vue que l’aumône et la libéralité. De sorte que si vous vous en allez dans l’autre monde sans avoir rien fait de tout cela, nul ne vous protégera. Car ce n’est pas l’amitié de ces gens-là qui peut vous protéger, mais bien le fait même d’avoir employé l’inique Mammon à vous procurer des amis. C’est pour cela que l’Évangéliste ajoute ces mots « se servir de l’inique Mammon pour acquérir des amis », voulant vous faire entendre que vous serez protégé par vos propres actions, par vos aumônes, par votre amour pour vos semblables, par votre empressement à secourir ceux qui sont dans le besoin. Pour preuve que la parenté, que les alliances de famille ne peuvent rien sans les actes, écoutez ce que dit le Prophète. « Quand même Noé, Job et Daniel, se tiendraient là en personne, ils ne délivreraient ni leurs fils, ni leurs filles. » (Ez. 14,14-18) Et que parlé-je de la vie future, lorsque l’amitié ne sert de rien, même dans la vie présente ? Combien Samuel n’a-t-il pas pleuré, n’a-t-il pas gémi, sans pouvoir arracher Saül à sa condamnation ? Combien Jérémie n’a-t-il pas prié pour les Juifs, et ses prières n’ont pas eu d’autre effet que de lui attirer les reproches du Seigneur ? Et pourquoi vous étonner si Jérémie n’a pu rien faire, lui qui avoue que Moise lui-même, s’il eût vécu à cette époque, indurait pas été assez puissant pour sauver les Juifs d’alors, tellement ils s’étaient laissé dominer, absorber par le péché ? (Jer. 15,1)
5. Combien saint Paul n’a-t-il pas déploré le sort des Juifs, lui qui disait : « Il est vrai, mes frères, que je sens dans mon cœur une grande affection pour leur salut, et que je le demande à Dieu par mes prières ! » (Rom. 10,1) Ces prières, quel résultat ont-elles eu ? Aucun. Que dis-je ? des prières ! Il souhaitait même d’être anathème pour leur salut. (Rom. 9,3) Quoi donc ? Les instances des saints sont donc superflues ? Non pas. Elles ont au contraire une singulière efficacité quand on leur vient en aide soi-même. C’est ainsi que Pierre ressuscita Tabitha, résurrection opérée non seulement par ses prières, mais aussi par les aumônes de cette femme. (Act. 9,36, et suiv) C’est ainsi que les saints en protégèrent d’autres par leurs prières. Et cela a lieu ici-bas, dans le séjour du travail et de la lutte ; mais là-haut rien de pareil, les actes seuls peuvent contribuer au salut. Il me semble que le Prophète poursuit de ses railleries ceux qui sont riches sur cette terre, et ceux qui sont fiers. Car il ne dit pas ceux qui ont de la fortune, ou bien ceux qui possèdent une grande puissance, mais « ceux qui se confient dans l’étendue de leur richesse, et qui sont fiers de leur puissance. » Il se moque d’eux et s’attaque à eux parce qu’ils mettent leur confiance dans des ombres, et qu’ils s’enorgueillissent pour de la fumée. Il a dit avec raison : « Il ne donnera pas la rançon de son âme », car le monde entier ne suffirait pas pour payer cette rançon. Aussi est-il dit : « Et que servirait-il à un homme de gagner le monde entier, et de perdre son âme ? » (Mt. 16,26)
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