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mes yeux de vous. » En voici maintenant la raison : « Car vos mains sont pleines de sang. » (Is. 1,15) Mais la sollicitude divine éclate jusque dans l’abandon ; si Dieu détourne son visage, c’est afin de nous ramener plus sûrement. C’est ainsi qu’un amant passionné délaisse, abandonne l’objet de son amour, quand celui-ci lui témoigne trop de dédain : non qu’il le bannisse de sa pensée ; il veut seulement le ramener et se l’attacher. Après ce visage qui se détourne, voici maintenant l’oubli avec ses conséquences. Quelles sont-elles ? Celles qu’il nous fait connaître ensuite : « Jusques à quand placerai-je des projets dans mon âme ? » Ainsi que le nautonier égaré loin du port erre à l’aventure, ainsi que l’homme privé de la lumière, se heurte contre tous les obstacles : de même l’homme oublié de Dieu est livré à des soucis, des inquiétudes, des douleurs sans fin. Et ce n’est pas un faible moyen d’appeler sur soi l’attention de Dieu, que ces soucis, ces inquiétudes mêmes, que ces douleurs dont on est consumé, que de réfléchir à son délaissement. Ainsi Paul dit de lui-même en ! écrivant aux Corinthiens : « Et qui est celui qui me réjouit, sinon celui qui est contristé à cause de moi. » (2Cor. 2,2) Non, ce n’est pas, mon cher auditeur, un mince avantage, que de s’apercevoir que Dieu se détourne de nous, d’en souffrir, de nous en affliger. C’est par là que nous le ramènerons le plus promptement à nous. « Jusques à quand mon ennemi sera-t-il élevé au-dessus de moi ? » « Regardez-moi, exaucez-moi, Seigneur mon Dieu. Éclairez mes yeux, afin que je ne m’endorme jamais dans la mort. »
Si la présence et l’assistance de Dieu écarte loin de nous tout ce qui pourrait nous chagriner ; son absence, son oubli, déchire notre âme, attriste notre cœur, nous abandonne aux insultes de nos persécuteurs, multiplie sous nos pas les rochers et les précipices. Mais ce sont autant de bienfaits qui ont pour but d’encourager les indifférents, par toutes ces souffrances, à remonter avec plus de hâte à l’endroit d’où ils sont tombés. « Ta désertion t’instruira », est-il écrit, « et ton vice te confondra. » (Jer. 2,16) L’abandon de Dieu est donc lui-même une forme de la Providence. Quand sa sollicitude et sa tendresse rie rencontrent que le mépris, il s’éloigne pour un temps, il délaisse les tièdes, afin qu’ils secouent leur nonchalance et deviennent plus zélés. Regardez, dit-il, voyez mon ennemi qui s’élève contre moi : et si ce n’est en considération de mon infortune, du moins à cause de son orgueil et de sa jactance, écoutez-moi. Et que demandes-tu donc ? A vaincre tes ennemis ? Non pas, mais que mon cœur soit éclairé, que les ténèbres répandues sur mon discernement soient dissipées, que la lumière se fasse dans mon intelligence. Voici ce que je demande : « Éclairez mes yeux. Afin que jamais mon ennemi ne dise » en me voyant précipité dans la mort du péché : « Ainsi j’ai eu l’avantage sur lui (i). » Je l’ai vaincu, ce que je voulais voir s’est réalisé. Qu’est-ce à dire : « J’ai eu l’avantage sur lui ? » C’est-à-dire qu’il a été fort par rapport à moi, quelle que soit d’ailleurs sa force, à parler absolument. Notre défaite lui donne des forces, le rend robuste, redoutable, invincible.
2. Voyez-vous bien que nos péchés n’ont pas seulement pour effet de nous déshonorer, de nous perdre, de nous plonger dans la mort, mais encore de proclamer, par notre défaite, la force et la puissance dé nos ennemis : Que dis-je ? De les mettre en allégresse et en joie. Ali l quelle folie, quel aveuglement de s’allier avec ses ennemis contre soi-même, de donner lieu de se réjouir et de se féliciter à ceux qui persécutent et oppriment notre âme ! Voyez que d’absurdités ! Au lieu de vaincre notre ennemi « ses glaives se sont affaiblis à la fin », est-il écrit, « et l’impie a succombé (Psa. 9,7-6) : » au lieu de vaincre, nous sommes vaincus. Ce n’est pas tout, nous rendons notre ennemi robuste et vigoureux, et là ne s’arrête pas encore notre clémence, notre inconcevable maladie ; nous lui procurons encore des sujets d’allégresse et de joie. C’est vraiment le comble de l’ivresse, le comble des maux que le péché.
« Ils se réjouiront si je suis ébranlé. » Le Prophète allègue trois raisons pour émouvoir le Seigneur, pour attirer ses regards, le déterminer à tourner son visage vers lui, à exaucer sa prière : la force et la puissance de ses ennemis ; en second ou plutôt en premier lieu leur orgueil, leur insolence ; enfin leur joie, leur allégresse. C’est à peu près comme s’il disait Si ce n’est pas assez de ma prière, assez de mon infortune pour appeler vos regards, Seigneur, du moins que la jactance de mes ennemis, que la présomption dont leur puissance les pénètre attire votre attention : ils triomphent