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ombre, souffrait maintenant un intolérable châtiment ; et qu’après avoir choisi la voie spacieuse et la porte large, il était arrivé à un terme si fâcheux ; voyant que le contraire était arrivé pour Lazare, et qu’en récompense de la patience qu’il avait montrée sur la terre il jouissait de biens ineffables ; à bout de ressources, et connaissant par expérience l’erreur dont il avait été le jouet en choisissant toujours la voie spacieuse, il adresse une supplication au patriarche et laisse échapper des paroles attendrissantes et pleines de larmes. Ainsi lui (lui autrefois ne se tournait pas vers Lazare, et ne daignait pas regarder ce pauvre qui était couché à sa porte, mais qui l’avait en horreur, pour ainsi dire, tant l’odeur fétide des ulcères du mendiant révoltait sa délicatesse, adresse maintenant ses supplications au patriarche, et lui dit : Père Abraham, ayez pitié de moi, et envoyez Lazare afin qu’il trempe le bout de son doigt dans l’eau, et qu’il rafraîchisse ma langue, car je souffre horriblement dans cette flamme. (Luc. 16, 24) Ces paroles étaient capables d’exciter la pitié ; et cependant elles n’en produisirent aucune, car la confession venait trop tard et la supplication ne se faisait pas en temps opportun. Envoyez, semblait-il dire, ce Lazare, ce pauvre qu’autrefois j’avais en horreur, à qui je ne faisais point part de rues miettes : j’ai besoin de lui maintenant, et je recours – à ce doigt qui était léché par les chiens. Voyez-vous comment le supplice l’a humilié ? Voyez-vous comment la voie spacieuse a abouti à une issue étroite ? Et il n’adresse pas sa supplication à Lazare, mais au patriarche : c’est avec raison, car il n’osait pas regarder le pauvre en face. Il réfléchissait, je pense, à sa propre inhumanité et, songeant combien il s’était montré impitoyable envers lui, il soupçonnait que peut être Lazare ne le jugerait pas même digne d’une réponse. C’est pour cela qu’il adresse sa supplique non à lui, mais au patriarche. Et cependant il n’y gagna pas davantage tant est grande la faute de ne pas profiter du moment favorable, et de laisser perdre le temps que la bonté divine nous accorde pour opérer notre salut ! En effet, quel cœur d’acier ces paroles n’auraient-elles pas fléchi et excité à la pitié et à la compassion ?
Néanmoins, le patriarche n’acquiesce pas à sa demande, mais il daigne lui répondre et lui apprend qu’il est lui-même la cause de ses maux ; il lui fait cette réponse : Mon fils, souviens-toi que durant ta vie tu as reçu tes biens et Lazare ses maux ; maintenant il est consolé, et toi tu es dans les tourments bien plus, un grand abîme a été creusé à toujours entre nous et vous, afin que ceux qui voudraient aller d’ici à vous ne le puissent pas non plus que ceux qui voudraient venir à nous de là où vous êtes. Ces paroles sont terribles e bien capables d’émouvoir ceux qui ont du cœur. En effet, afin de lui apprendre qu’il lui témoigne, il est vrai, de la miséricorde, et qu’il est touché de compassion en voyant l’intensité de son supplice, mais qu’il ne peut rien faire de plus pour son soulagement, il semble lui dire en s’excusant presque devant lui : Je voudrais te tendre la main, alléger tes douleurs, et diminuer la violence de tes tourments ; mais tu t’es privé toi-même de cette consolation c’est pourquoi il lui dit : Mon fils, souviens-toi. Considérez la bonté du patriarche : il l’appelle son fils : parole qui peut bien, il est vrai, manifester l’humanité du patriarche, mais non procurer du secours au patient, parce qu’il s’est perdu volontairement lui-même. Mon fils, lui dit-il, souviens-toi que durant ta vie tu as reçu tes biens. Pense en toi-même au passé ; n’oublie pas de quels plaisirs, de quelles délices, de quel faste tu as joui ; comment tu as passé ta vie entière dans les excès de la table et du vin, te persuadant qu’il en serait ainsi pendant toute l’éternité, et que ces plaisirs étaient les vrais biens. Il lui fit une réponse en rapport avec ses sentiments, car cet infortuné n’avait dans l’esprit rien d’élevé ; il ne se mettait pas devant les yeux les maux qui l’attendaient, il croyait que ces futiles plaisirs étaient les vrais biens.
5. En effet, maintenant encore, ceux qui sont passionnés pour les délices, la volupté et les excès de la table ont coutume de dire : nous avons joui de grands biens, quand ils veulent parler de leurs jouissances. O homme ! garde-toi d’appeler ces choses des biens, et songe que le Seigneur les donne, afin qu’en en usant avec modération, nous y trouvions de quoi entretenir notre vie, et soutenir la faiblesse de notre corps : les vrais biens sont tout autre chose.
Non, la vie délicate, ni les délices, ni les richesses, ni la somptuosité des vêtements ne sont des biens, mais elles en portent seulement le nom. Et pourquoi, dis-je, qu’elles