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sous les yeux ; autre chose est de ne pas prêter appui à quelqu’un, quand on se trouve accablé soi-même par les calamités, les angoisses et les chagrins, et autre chose de négliger ceux qui meurent de faim, de fermer ses entrailles à la charité, de résister à l’influence humanisante du bonheur, quand on jouit de toutes les félicités et d’une prospérité sans nuage. Vous le savez tous, il est dans notre nature de devenir plus doux et plus cléments dans le bonheur, lors même que nous serions les plus durs de tous les hommes. Mais le riche ne devint pas meilleur dans sa félicité : il prit l’humeur des animaux féroces ; que dis-je ? par sa conduite inhumaine, il en surpassa la sauvagerie et la cruauté ! Cependant malgré cette inhumaine et détestable vie, il continua de jouir de toutes les prospérités, tandis que le pauvre Lazare resta dans un abîme de misère. Que Lazare ait été juste, c’est sa fin qui nous le prouve, et, dès avant la fin de sa vie, sa constance à supporter le malheur. Mais ne vous semble-t-il pas voir tout cela de vos propres yeux ? Pour le riche, la nef de la vie voguait au souffle favorable des vents, chargée de la plus magnifique cargaison ; mais ne l’admirez pas trop tôt, elle voguait au naufrage, parce qu’elle avait refusé de déposer en temps opportun un excessif fardeau. Voulez-vous que je vous montre encore un vice de cet homme ? C’est qu’il ne craignait pas de livrer aux délices tous les jours de son existence. Voilà en effet un vice, non pas seulement sous la Loi de grâce où Dieu exige de nous une sagesse si grande, mais encore sous l’ancienne Loi qui n’avait pas révélé une perfection aussi complète. Écoutez ce que dit le Prophète : Malheur à vous qui arrivez au mauvais jour, à vous qui atteignez, qui touchez les sabbats menteurs [1] ! (Amo. 6, 3) Que signifie cette expression : vous qui touchez les sabbats menteurs ?
Les Juifs croient que le sabbat n’a d’autre objet que le repos : Telle n’est pas sa vraie raison d’être ; il leur a été donné afin que, se détachant complètement du souci des affaires temporelles, ils consacrent tout leur loisir aux choses de l’âme. Le jour que Dieu s’est réservé, loin d’être un motif d’oisiveté, fournit matière à l’activité spirituelle. Les prescriptions mêmes de la Loi le prouvent ; car le prêtre accomplit œuvre double ce jour-là ; en tout autre jour, il n’offre qu’une seule victime ; le sabbat, il est obligé d’en offrir deux. Si donc le sabbat eût été institué en vue d’un repos complet, il eût fallu que le prêtre, plus que tout autre, gardât ce repos complet. Mais, comme les Juifs, exempts ce jour-là des préoccupations de la vie temporelle, ne s’appliquaient pas aux œuvres de la vie spirituelle, à la sagesse, à la tempérance, à l’audition de la parole divine ; comme ils faisaient tout l’opposé en se livrant à la gourmandise et à l’ivrognerie, en se gorgeant de bonne chère et de débauches, le Prophète les dénonce et les attaque. Après avoir dit : Malheur à vous qui arrivez au mauvais jour ! il ajoute : à vous qui touchez aux sabbats menteurs ! et, par ce mot ajouté, il indique de quelle façon il entend que les Juifs rendent leurs sabbats menteurs. Et comment les rendent-ils menteurs ? En faisant œuvre d’iniquité, en s’abandonnant au libertinage et à l’ivrognerie, en pratiquant mille abominations et infamies. Pour vous convaincre que ce que je dis est vrai, écoutez la suite : le Prophète signale lui-même ce que j’avance parce qu’il ajoute immédiatement après : Malheur à vous qui dormez sur des lits d’ivoire, et qui consumez follement votre vie sur une couche lascive ; à vous qui mangez le chevreau choisi entre tous dans l’étable, et le veau encore à la mamelle ; à vous qui ne buvez le vin qu’après l’avoir passé au filtre, et qui vous parfumez des essences les plus exquises ! (Id. 6, 4-6) Vous avez reçu le sabbat pour affranchir vos âmes du vice, et vous l’employez à les y asservir de plus en plus. Y a-t-il une pire mollesse que de dormir sur un lit d’ivoire ? Les autres péchés, comme l’amour de la bonne chère, de l’argent, de la luxure, procurent une certaine volupté, tant petite soit-elle ! Mais à dormir sur un lit d’ivoire, quel plaisir trouve-t-on ? quelle jouissance ? La beauté de la couche nous rend-elle le sommeil plus doux et plus suave ? Mais, si vous avez un peu de sens, voici l’accusation qui vous chargera le plus : Pendant que vous reposez sur ce lit d’ivoire, si vous venez à songer que tel autre homme n’a pas même un morceau de pain assuré pour sa faim, votre conscience ne vous blâmera-t-elle pas, ne se soulèvera-t-elle pas contre une telle anomalie ? Et si c’est une faute que de coucher sur un lit d’ivoire, comment vous excuserez-vous de l’avoir entièrement revêtu d’argent ? Voulez-vous un lit vraiment beau ? Je vais vous montrer non pas le lit d’un plébéien, non pas le lit d’un soldat, mais un lit royal. Fussiez-

  1. Ce texte a, dans la Vulgate, un sens tout différent.