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qui léchaient ses plaies. (Luc 16, 19) A l’intention de qui le Seigneur a-t-il parlé en paraboles ? Pour quel motif a-t-il expliqué les unes et non les autres ? Qu’est-ce qu’une parabole, et que sont les autres récits de ce genre ? Voilà des questions que nous réserverons pour un autre temps, afin de ne pas nous écarter du sujet qui nous occupe présentement. Disons seulement lequel des évangélistes a reproduit cette parabole proposée par le Christ Quel est-il ? C’est saint Luc seul. Il est bon, en effet, de savoir que, parmi les choses que racontent les évangélistes, il y en a qu’on lit chez tous les quatre, il y en a qu’on ne trouve que dans un seul.
Pourquoi cela ? Pour que, d’une part, nous soyons obligés de prendre connaissance de tous les Évangiles, et que, d’autre part, leur parfaite harmonie apparaisse à tous les yeux. En effet, si tous avaient tout raconté, nous ne les étudierions pas tous avec soin, puisqu’un seul suffirait à nous tout enseigner ; si, au contraire, ils n’avaient raconté tous que des choses différentes, nous n’aurions pas à remarquer, comme un fait extraordinaire, leur admirable concordance. C’est pourquoi tous renferment plusieurs récits qui leur sont communs, et chacun d’eux en a recueilli quelques autres qui lui sont propres. Maintenant, que nous enseigne le Christ dans la parabole de Lazare ? Le voici : II y avait un homme riche dont la vie, souillée de mille excès, ne connaissait pas l’épreuve du malheur ; toutes les prospérités lui arrivaient comme de source ; point de fâcheux accident pour cette existence privilégiée, aucun sujet de douleur, pas la moindre disgrâce, comme saint Luc le marque par ces mots : Il passait chacun de ses jours dans la joie. Qu’il vécût dans le mal, c’est évident par la fin qui lui fut réservée, et avant sa fin, par le mépris qu’il eut pour le pauvre Lazare ; il prouva lui-même qu’il ne connut jamais la pitié, ni envers Lazare, ni envers aucun autre. En effet, ce pauvre, toujours couché à la porte de son palais, toujours gisant sous ses yeux ; ce pauvre, qu’il était forcé de voir non pas une fois ni deux par jour, mais autant de fois qu’il entrait ou sortait ; ce pauvre, étendu non pas dans un carrefour, à un coin de rue, en quelque endroit obscur et écarté, mais à la place même ou le riche faisait toutes ses allées et venues, de telle sorte qu’il le voyait bon gré mal gré de ses propres yeux ; ce pauvre, réduit à une si déplorable situation, passant sa vie dans une misère si profonde, ou plutôt dont la vie entière n’était qu’une longue maladie ; ce pauvre ne put lui inspirer aucune commisération ; comment donc se fût-il laissé attendrir par le sort du premier venu ? – À supposer qu’il ait négligé Lazare un premier jour, il faut présumer qu’il devait le deuxième jour éprouver quelque pitié ; sinon le deuxième, du moins le troisième, ou le quatrième, ou le cinquième, ou l’un des jours suivants, il devait sentir son cœur touché, à moins qu’il ne fût plus sauvage que les bêtes fauves. Non, il ne sentit rien ! Il resta plus impassible et plus inexorable que ce juge d’autrefois, qui n’avait ni crainte de Dieu, ni respect pour l’homme. Ce juge, en effet, quelque cruel et âpre qu’il fût, se laissa fléchir par les supplications de la veuve ; il fit grâce, il se montra accessible à une prière. Mais le mauvais riche, rien de pareil n’eut la puissance de l’amener à secourir le pauvre. Et pourtant les deux prières ne se présentaient pas avec des titres égaux : celle de Lazare était à la fois plus légitime et plus facile à exaucer. La veuve implorait un secours contre ses ennemis ; Lazare ne demandait qu’à apaiser sa faim, et à ne pas périr sans qu’on daignât le regarder. La veuve réclamait à grand bruit ; Lazare, couché par terre et silencieux, ne faisait que se montrer au riche : c’en devait être assez pour amollir même un rocher. Car souvent les pauvres nous irritent en nous obsédant ; au contraire, quand nous voyons ceux qui implorent notre aide se tenir dans un silence profond, ne faire entendre aucune plainte, supporter sans aigreur tous les affronts, ne se rappeler à nous que par leur silencieuse présence, fussions-nous plus durs qu’une pierre, nous sommes saisis de respect et de pitié pour cette rare modestie. À tout cela s’ajoutait, dans le pauvre Lazare, un aspect misérable, un visage décharné par la faim et par une affreuse maladie ; mais rien n’attendrit cet implacable riche.
7. Son premier crime fut donc cette cruauté, cette inhumanité sans pareille. Autre chose est de ne pas secourir un pauvre quand on est soi-même dans l’indigence, et autre chose de laisser périr de faim son prochain quand on regorge de toutes les délices ; autre chose est de négliger, en passant, un malheureux qu’on aperçoit une ou deux fois, et autre chose de résister à la compassion, quand on l’a perpétuellement