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Christ : « Que celui qui veut être le premier parmi vous, soit le dernier » ; et encore : « Qui s’abaisse, sera élevé ». (Mt. 20,26 ; 23, 12) Que dites-vous, O mon Dieu ? Si je donne à boire à mon ennemi, je le punis alors ? Si j’abandonne toute propriété humaine, je deviendrai grand ? si je m’humilie, je serai élevé?- Certainement, répond le Seigneur. Ma puissance est telle que j’arrive au but par les contraires. Je suis riche, et capable de diriger les événements. Ne craignez pas. Ma volonté, loin de se mettre à la remorque des lois de la nature, les mène à son gré. Je suis le moteur souverain de toutes choses, et aucune n’agit sur moi ; aussi puis-je les changer et les transformer. Et pourquoi vous étonner de ma puissance dans le monde matériel ? En tout et toujours vous la trouverez semblable. Faites tort, le tort retombera sur vous ; subissez l’injustice, l’injustice ne vous a pas atteint. La vengeance que vous Vous permettez, vous croyez l’avoir tirée d’un autre, et c’est vous-même que vous frappez ! « Car celui qui aime l’iniquité », dit le Seigneur, « hait son âme » : (Ps. 29,24) Voyez-vous comme le mal ne tombe pas ailleurs que sur vous seul ? C’est pourquoi saint Paul dit : « Pourquoi ne souffrez-vous pas plutôt l’injustice ? » (1Cor. 6,7) Donc souffrir une injustice, ce n’est pas essuyer un dommage. Vous lancez l’outrage au prochain, et c’est sur vous qu’il retombe.
Bien des gens, au reste, le savent ; on les entend se dire dans une dispute. « Il est temps de nous a retirer, vous vous déshonorez ! » Pourquoi ? C’est qu’entre vous et l’homme outragé par vous, la différence est grande. Plus vous l’accablez d’insultes, plus il en tire gloire. Que telle soit notre conviction en toutes choses, et nous deviendrons supérieurs aux outrages. Comment ? Vous allez le comprendre. Supposé que nous soyons en lutte contre celui qui porte la pourpre, et que nous lui lancions l’outrage : nous penserons à bon droit nous déshonorer ! En effet, nous méritons immédiatement le mépris public : vous l’avouez, n’est-ce pas ? Comment donc, vous citoyen du ciel, possédant cette sagesse qui surpasse tout, comment allez-vous compromettre votre honneur en disputant avec un homme dont toutes les idées sont charnelles et terrestres ? Car possédât-il d’incalculables richesses, fût-il investi de la puissance, il ne connaît pas, lui, votre inestimable trésor. Gardez donc de vous couvrir de déshonneur en prétendant le déshonorer. Épargnez non pas cet homme, mais vous-même. Honorez-vous vous-même, et non pas lui. N’est-ce pas un proverbe, que l’on s’honore en honorant les autres ? Et c’est vrai ; l’honneur rendu va moins au prochain qu’à vous. Écoutez une parole du Sage : « Faites honneur à votre âme autant qu’elle le mérite ». (Sir. 10,31) Qu’est-ce à dire, autant qu’elle-même le mérite ? Que si l’on vous vole, vous ne voliez pas ; si l’on vous outrage, vous n’outragiez pas ! Dites-moi plutôt : si un pauvre ramassait un peu de boue jetée hors de votre maison, lui feriez-vous un procès en restitution ? Non, certes. Et pourquoi ? de peur de vous déshonorer et de vous voir condamner par tout le monde. C’est ce qui arrive au cas présent. Il est bien pauvre, l’homme riche ; il est d’autant plus véritablement pauvre, que ses richesses sont plus grandes. L’or qu’il vous ravit n’est qu’un peu de boue jetée dans votre cour, et non vraiment placée dans votre maison ; car votre maison, c’est le ciel. Si donc pour si peu de chose vous disputez, vous plaidez, les citoyens des cieux ne devront-ils pas vous condamner et vous bannir de leur patrie, vous si bas, si vil, si abject, que pour un peu de boue vous alliez combattre ? Eh ! le monde entier fût-il à vous, si quel, qu’un vous le volait, vous n’auriez qu’à lui tourner le dos !
3. Ignorez-vous qu’en mettant en balance dix mondes comme celui-ci, ou même cent, dix mille, vingt mille univers, ils ne pèseraient pas autant que la moindre partie des biens que le ciel nous garde ? Admirer la terre et ses richesses, c’est déshonorer les célestes trésors ; puisque c’est estimer les unes dignes d’être comparées aux autres qui les surpassent infiniment. Il y a plus, c’est se refuser à admirer ceux-ci ; comment, en effet, leur réserver quelque part de votre admiration, lorsque ceux-là l’ont ravie jusqu’à vous mettre hors de vous-même. Ah ! tranchons, trop tard sans doute, mais tranchons enfin ces cordes et ces lacs indignes qui ne sont après tout, que des choses terrestres. Combien de temps encore serons-nous courbés, sans regarder au-dessus de nos têtes ? Combien de temps nous ferons-nous une guerre de surprises, comme les bêtes fauves, comme les poissons ? Que dis-je ? les bêtes fauves ne font pas la guerre à ceux de leur espèce, mais aux espèces étrangères. L’ours ne tue pas l’ours ; le serpent ne détruit pas le serpent ; chacun d’eux respecte dans les autres sa famille. Et voici une créature de même espèce que vous, partageant tous vos droits, ayant avec vous-même sang, même intelligence, même connaissance de Dieu, communauté complète de nature enfin : et c’est vous qui la tuez et la précipitez dans des maux innombrables ! Je le veux ; vous ne la percez pas avec un glaive, vos mains ne se plongent pas dans sa poitrine ouverte ; mais vous faites pire que cela en lui créant de mortels et perpétuels ennuis en la tuant, vous l’auriez délivrée de soucis. Mais aujourd’hui vous la jetez comme une proie à la faim, à la servitude, aux amertumes de tout genre, à tous les péchés.
Je le dis et ne cesserai de le dire, non certes pour vous déterminer à l’assassinat, ni pour engager à des crimes moindres que le meurtre, mais pour vous ôter la confiance où vous êtes que Dieu n’aura pas à vous punir. « Celui », dit le Sage, « qui enlève au prochain le pain et la nourriture, devient son meurtrier ». (Sir. 34,24) Donc arrêtons nos mains, je vous en conjure, ou plutôt étendons-les pour la justice, non par conséquent pour amasser encore par avarice, mais pour verser l’aumône. N’ayons pas une main stérile ni desséchée. Elle est desséchée, la main qui ne fait point l’aumône ; elle est exécrable et impure, celle qui amasse par avarice. Ne mangez pas avec ces mains souillées, vous feriez honte aux convives.
Dites-moi plutôt, je vous prie. Une personne