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Dieu que vous puissiez voir ce feu qui me dévore ; vous avoueriez que je suis brûlé par le chagrin, tout autant qu’une mère ou qu’une épouse jeune encore, et veuve avant le temps ! Celle-ci pleure moins son époux, un père pleure moins son fils, que je ne gémis sur cette multitude des nôtres chez lesquels je n’aperçois aucun progrès dans le bien.
On n’entend retentir que calomnies ou médisances cruelles. Lorsque chacun devrait uniquement se faire un devoir de servir Dieu, on entend dire : Parlons mal d’un tel et d’un tel ; de celui-ci encore qui n’est pas digne d’appartenir au clergé, tant sa conduite est honteuse et déshonorante. Il nous faudrait déplorer nos péchés personnels, et nous jugeons les autres ; lorsque nous n’aurions pas ce droit, quand même nous serions purs de tout péché. Car, dit l’apôtre, « qui donc vous distingue ? Qu’avez-vous que vous n’ayez reçu ? Et si vous l’avez reçu, comment vous en glorifiez-vous comme si vous ne l’aviez pas reçu ? » (1Cor. 4,7) Et vous, comment jugez-vous votre frère, étant vous-même couvert de plaies sans nombre ? Quand vous aurez répété de lui : C’est un méchant, un pervers, un scélérat, ramenez votre pensée sur vous-même ; sondez-vous, examinez-vous avec soin, et vous regretterez ce que vous aurez dit. Car aucune exhortation au monde, non, aucune ne vaut le souvenir de vos péchés. Si nous pratiquons au reste ces deux – points, nous pourrons gagner les biens promis, nous pourrons nous laver et nous purifier. Ayons seulement bien soin d’y penser et de porter là tous nos efforts, mes bien-aimés frères ; livrons-nous en cette vie à la sainte douleur de l’âme, afin d’éviter dans l’autre l’inutile douleur du supplice ; ainsi nous jouirons du bonheur éternel, d’où seront bannis la douleur, le deuil, le gémissement ; ainsi nous atteindrons les biens impérissables qui surpassent toute intelligence humaine, en Jésus-Christ Notre-Seigneur à lui soit la gloire, aux siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XXIV.


TOUS CES SAINTS SONT MORTS DANS LA FOI, N’AYANT POINT REÇU LES BIENS PROMIS, MAIS LES VOYANT ET COMME LES SALUANT DE LOIN, ET CONFESSANT QU’ILS ÉTAIENT ÉTRANGERS ET VOYAGEURS SUR CETTE TERRE. (XI, 13-17)

Analyse.

  • 1 et 2. L’orateur, contre son ordinaire, commence par une instruction morale, bien qu’il doive finir encore par une homélie de même espèce. – Différence entre les saints et nous ; notre attachement à la terre ; nos vices, condamnés même par nos complices. – Détachement et vertus d’Abraham, d’Isaac et de surtout en face de notre lâcheté qui ne sait ni vivre ni mourir. – En quel sens Dieu s’appelle le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. – Magnifique développement de ce mot « leur Dieu ».
  • 3. La persévérance est nécessaire si nous ne voulons entendre le terrible nescio vos . – Elle l’est tellement que les prêtres, les évêques même, sans la sainteté personnelle, doivent plus que personne, redouter ce terrible arrêt. – Moyen de persévérance et de conquête pour la vertu. Se proposer d’en gagner une par mois, et aller de l’une à l’autre, pas à pas, avec humilité et courage.


1. La première vertu, toute la vertu consiste à vivre dans ce monde comme des hôtes d’un jour et des étrangers, sans nous mêler aux affaires de ces basses régions, en nous détachant de ce monde, comme d’un pays inconnu, semblables à ces bienheureux dont il est écrit : « Ils erraient vagabonds, couverts de peaux de chèvres, indigents, affligés, persécutés, eux dont le monde n’était pas digne ». (Héb. 11,37) Ils se déclaraient ainsi étrangers et simples passagers de la vie. Paul, se servant d’une expression bien autrement énergique, ne se considérait pas seulement comme passant et étranger ici-bas, mais comme mort à ce monde déjà mort pour lui. Oui, disait-il, « le monde est crucifié pour moi ; et je suis crucifié pour le monde ». (Gal. 6,14)
Nous faisons tout le contraire. Toute notre conduite ici-bas prêterait à croire que nous sommes citoyens de la terre ; nous travaillons comme si nous y étions fixés pour toujours. Les justes n’étaient, pour le monde, que des passagers, que des morts, tandis que vivant pour le ciel, ils réglaient leur conduite en conséquence ; mais nous, en revanche, nous sommes pour le monde ce qu’ils étaient pour le ciel ; nous sommes pour le ciel ce qu’ils furent pour le monde. C’est pourquoi l’on peut dire que nous sommes morts, puisque nous renonçons à la vie véritable pour nous attacher à cette vie éphémère d’ici-bas. Voilà ce qui attire sur nous la colère de Dieu : il nous proposait de jouir des biens célestes, et nous n’avons pas même voulu nous détacher des biens terrestres. Semblables à ces misérables vers qui changent de lieu sans jamais quitter la boue, nous allons de terre en terre, nous ne voulons pas même sortir un instant de cette fange, et nous soustraire aux affaires humaines. On nous croirait ensevelis dans le sommeil, la léthargie ou l’ivresse, tant notre œil s’effraie en s’ouvrant au jour. Comme ces gens qu’un doux sommeil retient dans leur lit d’abord toute la nuit, puis une partie du jour, sans qu’ils rougissent de donner au sommeil et à la paresse le temps du travail et de l’étude, de même nous, lorsque le jour approche déjà, que la nuit s’en va, ou plutôt le jour (« Travaillez », est-il dit, « tant qu’il fait jour) », nous faisons en plein jour