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En effet, on ne nous demande qu’une chose : c’est de remercier Dieu en tout et toujours ; dès lors, nous aurons tout en abondance. Par exemple, avez-vous perdu dix mille livres d’or ? Remerciez Dieu tout aussitôt et vous avez gagné cent mille livres par cette parole d’abnégation et de reconnaissance. Car, dites-moi : à quel moment appelez-vous Job bienheureux ? Est-ce quand il est propriétaire de tant de chameaux, de tant de gros et menu bétail ? N’est-ce pas plutôt quand il fait entendre cette parole ? « Le Seigneur m’a donné, le Seigneur m’a ôté, son nom soit béni ! » (Job. 1,21) Quand le démon nous veut perdre, ce n’est pas en nous enlevant les richesses, il sait qu’elles ne sont rien ; mais il veut par cette ruine nous forcer à prononcer quelque blasphème. Ainsi agissait-il à l’égard du bienheureux Job ; son but unique n’était pas de le réduire à la pauvreté, mais de lui arracher un blasphème. Voyez plutôt quel langage il lui tient par l’épouse même du patriarche. Dès que celui-ci est dépouillé de tout : « Prononcez », lui dit-elle, « une parole contre Dieu, et puis mourez ». – Mais, maudit Satan, tu l’as déjà dépouillé de tout ! – Je n’ai pas ainsi atteint mon but. J’ai tout fait pour arriver et je n’ai pu parvenir à le priver aussi du secours de Dieu. Voilà ce que je veux ; ce que j’ai fait d’ailleurs n’est rien. Si je n’atteins pas mon but ultérieur, non seulement Job n’aura subi aucun mal, mais son épreuve lui aura servi.
4. Voyez-vous comment le démon sait le prix de cette ruine spirituelle ? Aussi emploie-t-il à cette fin le piège même d’une épouse impie. Écoutez ici, vous tous qui avez des femmes passionnées pour l’argent, lesquelles vous forceraient à blasphémer contre Dieu ! Souvenez-vous de Job. Mais plutôt voyons, s’il vous plaît, la grande douceur avec laquelle il lui ferme la bouche. « Pourquoi », lui dit-il, « avez-vous parlé comme une femme insensée ? » (Job. 2,10) En effet, « les mauvais « discours corrompent les bonnes mœurs ». (1Cor. 15,33) Toujours, hélas ! mais surtout dans le malheur, l’influence des mauvais conseils est grande. Notre âme se sent déjà portée d’elle-même à la colère et au désespoir : combien plus elle y obéit, quand elle rencontre un mauvais conseiller ! N’est-elle pas alors poussée au précipice ? La femme est un grand bien, comme elle est un grand mal. Remarquez, en effet, comment le démon cherche à faire brèche dans ce mur inexpugnable. La perte de tous ses biens n’a pu l’entamer ; cette ruine n’a pas produit contre lui grand effet. Convaincu d’avoir en vain dit à Dieu : « Vous verrez que Job vous maudira en face » (Job. 1,11), le démon arme l’épouse, pour arriver à vaincre. Vous avez ouï ce qu’il en espérait ! Mais cet engin de guerre ne lui a pas réussi.
Ainsi, nous-mêmes, si nous supportons tout avec reconnaissance, nous recouvrerons même nos biens ; sinon, du moins aurons-nous une plus magnifique récompense, comme il est advenu à ce cœur de diamant, à ce patriarche qui, après une lutte courageuse et victorieuse, a vu le Seigneur lui donner encore la fortune. Job avait prouvé au démon qu’il ne servait pas Dieu par un motif de vil intérêt ; le Seigneur, en retour, voulut bien lui rendre plus qu’il n’avait auparavant. C’est en effet ce qui arrive. Quand Dieu voit que nous ne sommes pas attachés aux biens de la vie, il nous les donne ; quand il nous voit préférer les biens spirituels il nous accorde les biens temporels par surcroît, mais jamais ceux-ci d’abord, de peur que nous n’oubliions les biens spirituels. C’est donc par un ménagement de sa providence qu’il nous refuse les biens du corps, afin de nous en séparer même malgré nous.
Mais non, direz-vous ; quand je reçois, au contraire, je suis comblé et je rends grâces plus volontiers ! – Cela n’est pas, ô homme ; tu n’en es que plus lâche et plus ingrat. – Mais pourquoi Dieu donne-t-il à d’autres ? – Êtes-vous bien sûr que c’est lui qui donne ? – Qui est-ce, si ce n’est lui ? – Leur avarice, leur rapacité sait s’enrichir. – Alors comment Dieu permet-il ces crimes ? – Comme il tolère le meurtre, les vols, les violences.- Alors que dites-vous de ceux qui, bien que remplis d’iniquités Bans – nombre, reçoivent de leurs ancêtres un riche héritage ? Comment Dieu les en laisse-t-il jouir ? – Comme il fait pour les voleurs, les meurtriers et tous les autres malfaiteurs. L’heure n’est pas venue de les juger, mais bien de régler parfaitement votre conduite. Ce que j’ai dit déjà, je le répète. Ils seront d’autant plus sévèrement châtiés, qu’ayant ainsi reçu tous les biens, ils n’en seront pas devenus meilleurs. Car tous les méchants ne seront pas également punis. Ceux qui, couverts des bienfaits de Dieu, demeurent mauvais, seront plus durement châtiés. Mais il n’en sera pas ainsi des hommes qui auront vécu dans la pauvreté. Pour vous convaincre de cette divine justice, écoutez ce que Dieu dit à David : « Ne vous ai-je pas donné tous les biens du roi votre maître ? » (2Sa. 12,8) Quand donc vous verrez un jeune homme recevoir sans travail l’héritage paternel et persévérer dans le péché, soyez sûr que son châtiment vient de s’accroître, et son supplice d’augmenter. Ne portons pas envie à de tels misérables, mais rivalisons avec ceux qui savent hériter de la vertu et acquérir les biens de la grâce. « Car, malheur », dit l’Écriture, « à ceux qui se confient dans leurs richesses ! » et : « Bienheureux ceux qui craignent le Seigneur ! » (Ps. 48,7 et 127,1) De quel côté vous rangez-vous, dites-le-moi ? Du côté de ceux qu’elle proclame bienheureux, sans doute ? Soyons donc saintement jaloux de ceux-ci et non point des autres, afin d’acquérir, comme les premiers, lesbiens promis. Puissions-nous les gagner tous par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel soient au Père et au Saint-Esprit, gloire, honneur, empire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.