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pas d’argent pour corrompre le juge. Nous avons en nous un jugement naturel que Dieu nous a donné et qui ne laisse pas obscurcir la justice.

4. Des sommeils pénibles, des images importunes, le souvenir sans cesse renaissant du mal qu’on a fait viennent toujours troubler notre repos. Par exemple, on s’est emparé injustement de la maison d’autrui ; la victime de l’injustice n’est pas seule à gémir, l’auteur du vol gémit aussi pour peu qu’il croie au jugement dernier. Celui qui a cette croyance est dans une cuisante inquiétude. Celui même qui ne l’a point n’est pas pour cela exempt de honte et de confusion. Ou pour dire la vérité, il n’est personne soit grec, soit juif, soit hérétique qui ne redoute le jugement. Si ce n’est pas la pensée d’un avenir qui l’inquiète, il tremble encore à l’idée des châtiments de la vie présente ; il craint d’être frappé dans ses biens, dans ses enfants, dans ses proches, dans son âme et sa vie ; car ce sont là de ces coups que Dieu frappe. Parce que le dogme de la résurrection ne suffit pas pour nous rendre tous sages, Dieu donne dès ici-bas des preuves et des marques signalées de la justice de ses jugements. Un tel qui s’est enrichi en violant la justice, n’a pas d’enfant, un tel périt à la guerre ; un autre perd un membre, un autre se voit enlever son fils. Ces peines, il y songe, il se les représente, il vit dans de perpétuelles alarmes. Voyez-vous ce que souffrent ceux qui commettent l’injustice ? Croyez-vous que l’amertume manque à leur vie ? Supposez qu’il ne leur arrive rien de semblable, est-ce qu’il ne leur reste pas pour les punir le blâme, la haine, et l’aversion de tous les hommes ? Tous s’accordent, ceux mêmes qui, leur ressemblent, pour les mettre au-dessous des bêtes féroces. Si chacun se condamne soi-même, à plus forte raison condamne-t-on les autres et les appelle-t-on ravisseurs, voleurs, fléaux du genre humain. Quel agrément procure donc la pratique de l’injustice ? Aucun, si ce n’est le souci qu’elle donne pour conserver ce qu’elle a fait acquérir ; elle ajoute à nos inquiétudes, voilà tout. Plus en effet on amasse de richesses, plus on augmente la cause de ses insomnies.

Que dirai-je des malédictions de ceux qui ont été lésés, de leurs supplications ? Et si la maladie survient ? L’impie le plus déterminé, dès qu’il se sent malade, s’inquiète nécessairement de ses injustices en se voyant réduit à l’impuissance. Tant qu’on est plein de santé, une âme adonnée aux voluptés ne sent pas beaucoup ce que la vie a d’amer. Mais lorsqu’elle est sur le point de sortir du corps, lorsqu’elle se voit déjà comme dans le vestibule du redoutable tribunal, alors elle est saisie d’un effroi qui domine tout autre sentiment. Tant que les voleurs sont dans la prison, ils ne tremblent point ; mais dès qu’on les amène devant le voile qui cache le tribunal du juge, ils meurent de frayeur. La crainte d’une mort prochaine est comme un feu qui détruit dans l’âme toutes les pensées mauvaises, qui oblige l’homme à devenir sage et à réfléchir sérieusement à l’autre vie ; elle exclut l’amour de l’argent, la passion des richesses et tous les désirs charnels. Les fumées de la concupiscence et de la cupidité une fois dissipées, le jugement reprend toute sa clarté et sa pureté. La dureté même du cœur s’amollit sous la pression de la douleur. La sagesse n’a pas de plus grand ennemi que les délices, ni de meilleur auxiliaire que la douleur. Considérez quel peut être à son heure dernière l’état d’un avare enrichi du bien d’autrui. « Une heure d’affliction », dit le sage, « fait oublier tous les plaisirs dont on a joui ». (Sir. 11,27) Quel sera donc l’état de son âme, lorsqu’il songera à ceux qu’il a lésés, volés, frustrés ? lorsqu’il verra que d’autres vont profiter de ses injustices, et qu’il va, lui, en rendre compte ? Il n’est pas possible que ces réflexions ne se présentent pas à la pensée avec la maladie qui survient : l’âme alors en est bouleversée, tourmentée, épouvantée. Songez quelle amertume ! Or cela arrive nécessairement à chaque maladie. Si avec cela il en voit d’autres punis et emportés par la mort, quel surcroît d’angoisses pour lui ?

Voilà pour cette vie ; mais qui dira les châtiments de l’autre vie, ses vengeances, ses supplices et ses tortures ? Nous vous le disons : « Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende ». (Luc. 8,8) Nous revenons souvent là-dessus, non que ce sujet nous plaise, mais parce que nous y sommes forcés. Nous voudrions pouvoir nous dispenser de vous parler jamais de ces choses ; nous désirerions du – moins qu’il suffît d’une légère application de ce remède pour guérir vos âmes de la maladie du péché ; mais puisque vous demeurez dans votre infirmité, il y aurait de ma part lâcheté et bassesse à ne pas user de ce