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part il a inspiré un grand et naturel amour. En effet, si la Providence ne présidait pas à la génération des hommes, personne n’aurait d’affection pour personne. Si maintenant même qu’il y a des pères, des enfants et des petits enfants, tant d’hommes sont indifférents pour le plus grand nombre des hommes ; il en serait à bien plus forte raison de même, sans la parenté. Voilà pourquoi Dieu vous a donné des enfants : gardez-vous donc de les accuser. Et maintenant si ceux qui ont des enfants, n’en sont pas moins dépourvus de toute excuse, comment pourront-ils se défendre, ceux qui n’en ont pas, et qui se tourmentent tant pour faire fortune ? Ces derniers pourtant, eux aussi, ont leur excuse, absolument inadmissible. Quelle est-elle ? Je n’ai pas d’enfants, je veux être riche, pour qu’on se souvienne de moi. Le ridicule, en vérité, est ici à son comble. Je n’ai pas d’enfants, dit cet insensé, ma maison sera l’immortel monument de ma gloire. Ce n’est pas de ta gloire, ô homme, mais de ton avarice qu’elle sera le monument. Ne vois-tu pas la foule qui regarde aujourd’hui ces splendides maisons, n’entends-tu pas ces discours : Que de machinations perfides n’a-t-il pas faites pour acquérir tant de richesses, que n’a-t-il pas pillé pour construire cette maison ? et ce riche n’est plus aujourd’hui que cendre et poussière, et cette maison est passée en des mains étrangères. Ce n’est donc pas de ta gloire que tu laisses un monument, mais de ton avarice. Ton corps est caché au sein de la terre, mais tu ne veux pas que le souvenir de ton avarice puisse se perdre par la suite des temps ; on le fouille, on le déterre, voilà ce que tu fais, grâce à ta maison. Car tant qu’elle a gardé ton nom, qu’elle a été ta propriété, il a bien fallu, de toute nécessité, que toutes les bouches s’ouvrissent pour t’accuser. Comprends-tu qu’il vaut mieux ne rien avoir, que d’être obligé de supporter une pareille accusation ? Ces réflexions s’appliquent à notre condition ici-bas ; mais maintenant là-haut, dites, je vous en prie, que ferons-nous, nous qui aurons tant possédé, mais rien donné, ou très peu de chose, des biens qui auront été en notre pouvoir ? comment nous débarrasserons-nous des fruits de notre cupidité ? Celui qui veut se débarrasser des fruits de sa cupidité, ne donne pas un peu de beaucoup, il donne beaucoup plus qu’il n’a ravi, et il cesse de pratiquer la rapine.

Écoutez ce que dit Zachée : « Je rends, de ce que j’ai pris à tort, le quadruple ». (Lc. 19,8) Quant à toi, tu pilles dix mille talents, tu donnes quelques drachmes, à grand-peine encore, et tu crois avoir tout rendu, tu te regardes comme ayant dépassé tes rapines par le don que tu as fait. Or, voici ce qu’il faut faire : d’abord il faut rendre ce que tu as pris, et prélever sur ce qui t’appartient de manière à ajouter à ce que tu as rendu. Le voleur ne restitue pas ce qu’il a pris sans y rien ajouter pour se justifier, souvent il paie, en outre, de sa vie, souvent une transaction s’opère moyennant qu’il donne beaucoup plus : il en est de la cupidité comme du vol. L’avare, en effet, c’est un voleur, c’est un brigand d’une espèce beaucoup plus dangereuse, parce qu’elle est plus tyrannique. Le voleur fait ses coups en cachette, et de nuit ; son crime est moins audacieux, il a honte, il a peur en le commettant ; mais le cupide, l’avare, dépouillant toute honte, nu-tête, au beau milieu de la place publique, il pille la fortune de tous ; c’est un voleur et un tyran tout ensemble ; il ne fait pas de trous dans les murs, il n’éteint pas la lumière, il n’ouvre pas le coffre-fort, il n’efface pas les traces de son crime ; mais que fait-il donc ? Son effronterie a toute l’ardeur de la jeunesse : à la vue de ceux auxquels il vient enlever tout ce qu’ils ont, il ouvre la porte toute grande, il s’élance, rien ne le gêne ni ne l’intimide, il ouvre tout, il force les malheureux à se dépouiller eux-mêmes. Voilà jusqu’où va sa violence que rien n’arrête. L’avare est plus infâme que tous les voleurs ensemble, parce qu’il est plus effronté, parce que c’est un plus cruel tyran. Celui qui souffre des brigandages ordinaires, souffre sans doute, mais il peut goûter une puissante consolation, en ce qu’il est redouté par celui qui lui a fait du tort ; mais la victime de l’homme cupide, il lui faut souffrir et l’injustice et les mépris ; elle ne peut pas avoir recours à la force, elle n’en serait que plus exposée à la dérision. Dites-moi, un adultère se cache ; un autre, au contraire, à la vue du mari, ne se cache pas du tout, lequel des deux fait la blessure la plus cruelle, la plus déchirante ? Le dernier sans doute, il ne se contente pas de nuire, il joint à l’injure, le mépris : l’autre a au moins cela pour lui, qu’il redoute celui qu’il a offensé. Il en est de même pour les crimes qui concernent la richesse ; celui qui se