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vous abandonnez aussitôt votre maître, ô serviteur plus déraisonnable qu’un chien ! Mais les courtisanes, dites-vous, font plaisir à voir. Le beau plaisir ! Dites plutôt qu’elles font honte à voir. Votre maison est devenue un mauvais lieu, un lieu d’orgies et de folies ; ne rougissez-vous pas de trouver du plaisir là-dedans ? Si vous goûtez ce plaisir en son entier, la honte et le dégoût qui en résultent n’en sont que plus grands. Comment n’en serait-il pas ainsi, lorsque vous faites de votre maison un antre de débauches où l’on se vautre dans la fange, à l’exemple des pourceaux ? Si l’on ne va pas jusque-là, on souffre davantage. Car la vue de ces courtisanes ne suffit pas ; elle ne fait qu’enflammer les désirs. Voulez-vous savoir à quoi tout cela aboutit ? Quand ces gens-là sortent de table, ils sont sans pudeur, ils sont irascibles, ils sont même pour les valets un objet de risée. Les serviteurs ont leur sang-froid ; les maîtres sont ivres. Quelle honte ! Mais parmi les pauvres, il ne se passe rien de pareil. Ils rentrent chez eux, après avoir terminé le repas par une action de grâces rendues au Seigneur ; ils sont joyeux quand ils se couchent, joyeux quand ils se lèvent ; ils n’ont pas à rougir ; ils n’ont aucun reproche à se faire.
6. Examinez maintenant ces illustres invités, vous verrez qu’ils sont au dedans ce que les autres sont au-dehors, c’est-à-dire aveugles, estropiés, boiteux. L’hydropisie et la fièvre attaquent le corps chez les autres ; chez eux elle attaque l’âme. Tel est en effet l’orgueil ; après le plaisir, l’âme est mutilée. Voilà ce que c’est que la satiété et l’ivresse ; l’âme ne sort de là qu’estropiée et boiteuse. Les pauvres, au contraire, sont au moral ce que les grands sont au physique. Leur âme est belle et parée. Car, lorsqu’on vit en rendant grâces au Seigneur, quand on ne demande que le nécessaire, quand on possède cette haute raison, voilà le bonheur dans tout son éclat ! Mais voyons comment tout cela se termine. Là règnent l’intempérance, le rire immodéré, l’ivresse, la bouffonnerie, l’obscénité dans les propos ; la présence des courtisanes bannit des entretiens toute pudeur. Ici règnent la douceur et la bienveillance. Celui qui invite les grands est cuirassé d’orgueil ; celui qui invite les pauvres n’écoute que l’humanité et son bon cœur. C’est l’humanité qui dresse cette table ; cette autre a été préparée par la vanité, par la dureté du cœur, fille de l’injustice et de la cupidité. Et cette vaine gloire, je le répète, aboutit à l’arrogance, à l’abrutissement, à la folie, fruits de la vaine gloire, tandis que l’humanité mène à remercier et à glorifier Dieu. Celui qui traite les pauvres reçoit ici-bas plus d’éloges ; tandis que l’autre est un objet d’envie, et est regardé comme le père commun des pauvres même que ses bienfaits n’ont pas atteints. Les victimes de l’injustice trouvent parmi ceux même que l’injustice a épargnés des êtres compatissants qui font cause commune avec eux contre l’homme injuste. De même ceux qui ont rencontré une main bienfaisante trouvent dans ceux-là même qui n’ont pas reçu de bienfaits des gens tout prêts à louer, à admirer avec eux le bienfaiteur. L’amphitryon des grands est exposé à tous les traits de l’envie ; l’amphitryon des pauvres voit tout le monde s’intéresser à lui, entend le concert des vœux que l’on fait pour lui.
Voilà ce qui se passe ici-bas ! Et là-haut, quand viendra le Christ, le bienfaiteur du pauvre comparaîtra devant lui avec assurance, et, devant l’univers entier, le Christ lui dira : « J’avais faim, et vous m’avez nourri ; j’étais nu, et vous m’avez habillé ; j’étais étranger, et vous m’avez recueilli » (Mt. 25,35) ; et autres choses pareilles. À l’autre, au contraire, il dira : « Esclave méchant et paresseux » ; et puis : « Malheur à ceux qui s’étendent avec délices sur leurs couches moelleuses ; qui dorment dans des lits d’ivoire, qui boivent des vins délicats ! » (Amo. 6,4) Malheur à ceux qui, s’inondant de parfums exquis, croient à la durée de ces plaisirs éphémères ! J’avais mon but en vous tenant un pareil langage. J’ai voulu changer vos cœurs. J’ai voulu vous engager à chercher en tout votre intérêt véritable. Mais, me direz-vous, si je fais les deux ; si j’invite les grands et les pauvres ! Voilà les mots qui sont dans toutes les bouches ! Mais dites-moi : pourquoi donc, au lieu de diriger toutes vos actions vers un but d’utilité, les diviser ainsi ; pourquoi vous jeter d’un côté dans des dépenses inutiles, quand de l’autre vous dépensez utilement votre avoir ? Si, tout en semant, vous jetiez votre grain en partie sur la pierre, en partie sur un bon terrain, seriez-vous content et me diriez-vous : Qu’est-ce que cela fait si je sème à la fois au hasard et sur une bonne terre ? Pourquoi en effet ne pas jeter tout ce grain sur une bonne terre ; pourquoi diminuer ainsi votre profit ? Quand