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que je ne me laisserai pas tellement enchaîner, que je ne puisse toujours briser ces nouveaux liens, en me jouant & à ma volonté. Mais déjà je vous parle de ma rupture, & vous ignorez encore par quels moyens j’en ai acquis le droit ; lisez donc, & voyez à quoi s’expose la sagesse, en essayant de secourir la folie. J’étudiais si attentivement mes discours & les réponses que j’obtenais, que j’espère vous rendre les uns & les autres avec une exactitude dont vous serez contente.

Vous verrez par les deux copies des lettres ci-jointes[1], quel médiateur j’avais choisi pour me rapprocher de ma belle, & avec quel zèle le saint personnage s’est employé pour nous réunir. Ce qu’il faut savoir encore, & que j’avais appris par une lettre, interceptée suivant l’usage, c’est que la crainte & la petite humiliation d’être quittée, avaient un peu dérangé la pruderie de l’austère dévote, & avaient rempli son cœur & sa tête de sentiments & d’idées, qui, pour n’avoir pas le sens commun, n’en étaient pas moins intéressants. C’est après ces préliminaires, nécessaires à savoir, qu’hier jeudi 28, jour préfix & donné par l’ingrate, je me suis présenté chez elle en esclave timide & repentant, pour en sortir en vainqueur couronné.

Il était six heures du soir quand j’arrivai chez la belle recluse ; car, depuis son retour, sa porte était restée fermée à tout le monde. Elle essaya de se lever quand on m’annonça ; mais ses genoux tremblants ne

  1. Lettres CXX et CXXIII.