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LES CONTES DE CANTERBURY.

vite il donnait au malade son remède.
Il avait ses apothicaires tout prêts
à lui envoyer drogues et électuaires ;
car chacun d’eux faisait gagner à l’autre ;
leur amitié n’en était pas à ses débuts.
Il connaissait bien le vieil Esculape,
430et Dioscoride, et aussi Rufus,
le vieil Hippocrate, Hali, et Galien ;
Sérapion, Rhazis, et Avicenne ;
Averroès, Damascène, et Constantin ;
Bernard, et Gatisden, et Gilbertin[1].
Il était modéré dans son régime,
qui n’était pas fait de superfluités,
mais d’aliments bien nourrissants et digestifs.
Ses études ne portaient guère sur la Bible.
D’étoffe rouge et perse il était tout vêtu,
440doublée de taffetas et de cendal[2] ;
et pourtant il était sobre en sa dépense ;
il gardait ce qu’il gagnait en temps de peste,
pour ce que l’or est en médecine un cordial,
il aimait donc l’or spécialement*.

    Une brave Femme était là, des environs de Bath ;
mais elle était un peu sourde, et c’était dommage.
Au tissage du drap elle était si habile,
qu’elle passait ceux d’Ypres et de Gand.
Dans toute la paroisse il n’était ménagère
450qui à l’offrande avant elle eût le droit d’aller[3] ;
et s’il s’en trouvait, elle était, certes, si courroucée,
qu’elle en oubliait toute charité.
Ses couvre-chefs étaient de trame fine ;
j’oserais jurer qu’ils pesaient dix livres,
ceux qui le dimanche étaient sur sa tête.
Ses bas étaient de belle laine écarlate,
fort bien tirés, et ses souliers tout frais et neufs.

  1. Ces noms de médecins ont en français, comme dans l’anglais de Chaucer, une forme parfois très différente de l’original.
  2. Étoffe de soie mince et riche.
  3. Les fidèles allaient eux-mêmes porter à l’officiant leurs offrandes de pain et de vin.