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LIV
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

deux mains bouché les oreilles, dans la poudreuse famille des sourds, je n’entendrai plus personne.

Si telle partie de ce travail m’a plus attaché que telle autre, c’est ce qui regarde ma jeunesse, le coin le plus ignoré de ma vie. Là, j’ai eu à réveiller un monde qui n’était connu que de moi ; je n’ai rencontré, en errant dans cette société évanouie, que des souvenirs et le silence ; de toutes les personnes que j’ai connues, combien en existe-t-il aujourd’hui ?

Les habitants de Saint-Malo s’adressèrent à moi le 25 août 1828, par l’entremise de leur maire, au sujet d’un bassin à flot qu’ils désiraient établir. Je m’empressai de répondre, sollicitant, en échange de bienveillance, une concession de quelques pieds de terre, pour mon tombeau, sur le Grand-Bé[1]. Cela souffrit des difficultés à cause de l’opposition du génie militaire. Je reçus enfin, le 27 octobre 1831, une lettre du maire, M. Hovius. Il me disait : « Le lieu de repos que vous désirez au bord de la mer, à quelques pas de votre berceau, sera préparé par la piété filiale des Malouins. Une pensée triste se mêle pourtant à ce soin. Ah ! puisse le monument rester longtemps vide ! mais l’honneur et la gloire survivent à tout ce qui passe sur la terre. » Je cite avec reconnaissance ces belles paroles de M. Hovius : il n’y a de trop que le mot gloire[2].

Je reposerai donc au bord de la mer que j’ai tant aimée. Si je décède hors de France, je souhaite que

  1. Îlot situé dans la rade de Saint-Malo. Ch.
  2. Voir à l’Appendice le no 1 : La Tombe du Grand-Bé.