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…et me fit asseoir près de lui sur une natte de soie. (page 47, col. 2.)
l’aurait pris pour l’immortel vieillard des foudres, tant il traînait après lui la grandeur. À peine pouvait-on soutenir l’éclat de ses regards : l’âme brillante, ingénieuse et guerrière de la France respirait tout entière dans cet homme.

« Le second cachait sous des sourcils épais et un air indécis, une expression extraordinaire de vertu et de courage ; on sentait qu’il pouvait être le rival du premier héros, et le frein de sa fortune.

« Le troisième guerrier, beaucoup plus jeune que les deux autres, portait la modération sur ses lèvres et la sagesse sur son front. Sa physionomie était fine, son œil observateur, sa parole tranquille. Le premier de ces guerriers achevait ses jours de gloire dans une superbe cabane, parmi les bois et les eaux jaillissantes, avec neuf vierges célestes qu’on nomma les Muses ; le second ne quittait le grand village que pour habiter les camps ; le troisième vivait retiré dans un petit héritage non loin d’un temple où il se promenait souvent autour des tombeaux.

« J’invitai ces trois enfants des batailles à venir chanter au milieu du sang notre chanson de guerre l’aîné des fils d’Aresquoui[1] sourit, le second s’éloigna, le troisième fit un mouvement d’horreur[2].

« Ononthio me fit observer plus loin des guerriers qui causaient ensemble avec chaleur. « Voilà, me dit-il, trois hommes que la France peut opposer à l’Europe combinée. Quel feu dans le plus jeune des trois ! quelle impétuosité dans sa parole ! Il s’efforce de convaincre ce sachem inflexible qui l’écoute qu’on doit faire servir les galères de la mer intérieure sur les flots de l’Océan. Ce fils illustre d’un père encore plus fameux, fait sourire le troisième guerrier, qui ne veut pas décider entre les deux autres, et s’excuse en disant qu’il ignore les arts de Michabou[3] ; il ne tient que d’Areskoui le secret des ceintures inexpugnables dont il environne les cités[4]. »

« Dans ce moment un jeune héros s’avança vers

  1. Génie de la guerre.
  2. Condé, Turenne et Catinat.
  3. Génie des eaux.
  4. Seignelay, fils de Colbert, Louvois et Vauban.