Page:Chateaubriand - Les Natchez, 1872.djvu/18

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Elle prend la démarche et la contenance d’un vieillard, afin de donner un plus grand air de vérité à ses paroles (page 20, col. 2).

« À peine avez vous enterré la hache[1], à peine, vous reposant sur la foi des colliers[2], commencez-vous à éclaircir la chaîne d’union, que, par la plus noire des perfidies, le chef actuel des Français veut vous attaquer sur vos nattes. La biche n’a pas changé plus de fois de parure que je n’ai de doigts à cette main mutilée en défendant mon père, depuis que les derniers attentats des blancs ont souillé nos savanes. Et nous hésitons encore !

« Peut-être, enfants du Soleil, peut-être comptez-vous changer de désert, abandonner à vos oppresseurs la terre de la patrie ? Mais où voulez-vous porter vos pas ? Au couchant, au levant, vers l’étoile immobile[3], vers ces régions où le génie du jour s’assied sur la natte de feu[4], partout sont les ennemis de votre race. Ils ne sont plus, ces temps où tous les fleuves coulaient pour vous seuls. Vos tyrans ont demandé de nouveaux satellites ; ils méditent une nouvelle invasion de nos foyers. Mais notre jeunesse est florissante et nombreuse ; n’attendons pas qu’on vienne nous surprendre et nous égorger comme des femmes. Mon sang se rallume dans mes veines, ma hache brûle à ma ceinture. Natchez ! soyez dignes de vos pères, et le vieil Adario vous conduit dès aujourd’hui aux batailles sanglantes ! Puissent les fleuves rouler à la grande eau les cadavres des ennemis de ma patrie ! Puissiez-vous, ô terre trop généreuse des chairs rouges, étouffer dans votre sein le froment empoisonné

  1. Faire la paix.
  2. Lettres, contrats, traites, etc.
  3. Le nord.
  4. Le midi.