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Prisonnier des hommes qui allaient bientôt l'immoler, Charles fut conduit au château de Holmby (9 février 1647). Il reçut partout des témoignages de respect : la foule accourait sur son passage ; on lui amenait des malades afin qu'il les touchât pour les rendre à la santé ; vertu qu'il était censé posséder comme roi de France, comme héritier de Saint Louis. Plus Charles était malheureux, plus on le croyait doué de cette vertu bienfaisante : étrange mélange de puissance et d'impuissance ! On supposait au royal captif une force surnaturelle, et il n'avait pas celle de briser ses chaînes ; il pouvait fermer toutes les plaies, excepté les siennes. Ce n'était pas sa main, c'était son sang qui devait guérir cette maladie de liberté dont l'Angleterre était travaillée.

Les presbytériens, libres de craintes du côté du roi, essayèrent de licencier l'armée où dominaient les indépendants ; les indépendants l'emportèrent : ils formèrent entre eux dans leurs camps une espèce de parlement militaire aux ordres de Cromwell. Les officiers composaient la chambre haute, les soldats, qu'on nommait agitateurs, la chambre basse : c'est ainsi que la constitution républicaine de Rome passa aux légions de l'empire. Soixante-deux membres indépendants du vrai parlement, ayant à leur tête les orateurs, allèrent rejoindre l'armée militante, prêchante et délibérante, laquelle vint à Londres, et chassa qui bon lui plut de Westminster. En même temps, le cornette Joyce, qui, jadis tailleur, avait quitté l'aiguille pour l'épée, enleva le roi du château d'Holmby, le conduisit prisonnier de l'armée à New-Market, et de là à Hamptoncourt.

Les hommes qui se jettent les premiers dans les révolutions sont partis d'un point de repos ; ils ont été formés par une éducation et par une société qui ne sont point celles que les révolutions produisent. Dans les plus violentes actions de ces hommes, il y a quelque chose du passé, quelque chose qui n'est pas d'accord avec leurs actions, c'est-à-dire des impressions, des souvenirs, des habitudes qui appartiennent à un autre ordre de temps. Ces athlètes expirent successivement dans la lice à des distances inégales, selon le degré de leurs forces, ou, s'arrêtant tout à coup, refusent d'avancer. Mais auprès d'eux sont nés d'autres hommes, factieux engendrés par les factions, aucune impression, aucun souvenir, aucune habitude ne contrarie ceux-ci dans les faits du présent ; ils accomplissent par nature ce que leurs devanciers avaient entrepris par passion : aussi vont-ils beaucoup au delà de ces premiers révolutionnaires, qu'ils immolent et remplacent.




Note





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