Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 10.djvu/380

Cette page n’a pas encore été corrigée

dans leurs saints déserts, ne s'aperçoivent même que le monde marche et passe au pied des murs de leur cloître. Henriette-Marie essaya de rendre ses enfants à l'Eglise romaine. Charles II, indifférent à tout principe, préféra sa couronne à sa foi : il ne se fit catholique qu'en mourant, lorsqu'il n'avait plus rien à perdre des biens de la terre. Le duc de Glocester et la princesse d'Orange restèrent zélés protestants ; le duc d'York seul (Jacques II) reçut des impressions qui le devaient ramener un jour à Paris, pour y mourir dépouillé comme sa mère. La princesse Henriette, depuis duchesse d'Orléans, fut élevée dans la religion romaine.

A la restauration de Charles II, la veuve de Charles Ier passa en Angleterre, et ne put se résoudre à y demeurer. Elle ne connaissait plus personne ; elle allait pleurant dans les palais de Whitehall, de Saint-James et de Windsor, poursuivie qu'elle était par quelques souvenirs. Après avoir vu mourir deux de ses enfants (la princesse d'Orange, veuve de vingt-six ans, et le duc de Glocester), elle s'embarqua avec sa fille Henriette pour revenir en France. Son vaisseau échoua ; Henriette fut saisie d'une rougeole dangereuse, et resta, soignée par sa mère, un mois entier à bord du vaisseau. La compagne éprouvée de l'infortuné Charles maria Henriette au duc d'Orléans, et reçut à Chaillot le bref de la béatification de saint François de Sales : dernières grandeurs de la terre et du ciel qui la visitèrent dans la solitude.

Vers l'an 1663, Henriette-Marie fit un dernier voyage à Londres. Enfin, rentrée pour toujours dans sa patrie, elle tomba malade à Sainte-Colombe, petite maison de campagne située à peu de distance de la Seine. Un grain d'opium qu'elle prit la plongea dans un sommeil dont elle ne se réveilla plus. Elle expira vers minuit, le 10 septembre 1669. Un historien dit qu' elle avait fait un saint usage de ses maux . Bien que son corps fut porté à Saint-Denis et son coeur à la Visitation de Chaillot, elle serait morte oubliée si Bossuet ne s'était emparé de ce grand débris de la fortune pour le façonner à la manière de son génie.

Le grand orateur, en envoyant l'oraison funèbre de la reine d'Angleterre et de madame Henriette à l'abbé de Rancé, lui écrivait : « J'ai laissé ordre de vous faire passer deux oraisons funèbres qui parce qu'elles font voir le néant du monde peuvent avoir place parmi les livres d'un solitaire, et qu'en tous cas il peut regarder comme deux têtes de mort assez touchantes. »




Notes




◄   II IV   ►