Les Quatre Stuarts
Œuvres complètes de ChateaubriandGarnier frères10 (p. 355-360).
◄  I
III  ►


CHARLES Ier.

DEPUIS L’AVÈNEMENT DE CHARLES Ier À LA COURONNE
JUSQU’À LA CONVOCATION DU LONG PARLEMENT.

1625-1640.


Charles parvint à la puissance suprême rempli des idées romanesques de Buckingham et des maximes de l’absolu Jacques Ier. Mais Jacques n’avait défendu le droit divin que par la controverse ; sa vanité littéraire et sa modération naturelle avaient permis la réplique : de là était née la liberté des opinions politiques ; la liberté des opinions religieuses était déjà sortie de la lutte entre l’esprit catholique et l’esprit protestant.

De très bonne foi dans ses doctrines, Charles tenait des traditions paternelles que les privilèges de la couronne sont inaliénables, que le roi régnant n’en est que l’usufruitier, qu’il les doit transmettre intacts à son successeur.

La nation, au contraire, commençant à douter de l’étendue de ces privilèges, soutenait que le trône en avait usurpé une partie sur elle. Les premiers symptômes de division éclatèrent lorsque Charles voulut continuer la guerre allumée dans le Palatinat ; le parlement refusa l’argent demandé : avant d’accorder le subside, il prétendit obtenir la réparation des griefs dont il se plaignait ; il sollicitait surtout l’éloignement d’un insolent favori. Charles crut son autorité attaquée : il s’entêta à soutenir Buckingham, cassa le parlement, et leva, en vertu de certaines vieilles lois, des taxes arbitraires. Le reste de son règne s’écoula dans le même esprit.

Charles fit des efforts pour gouverner sans parlement ; mais la nécessité salutaire de la monarchie représentative, nécessité qui oblige le prince à la modération, afin d’opérer la levée paisible de l’impôt, ramenait de force la couronne au principe constitutionnel. Plus le roi avait agi selon le bon plaisir, plus on exigeait de lui de garanties : il cédait ou s’emportait de nouveau, et ses concessions et ses emportements finissaient toujours par la reconnaissance de quelques droits. Dans ce conflit, de grands talents se formèrent, les limites de différents pouvoirs se tracèrent, le chaos politique se débrouilla : à travers beaucoup de passions on entrevit beaucoup de vérités, et quand les passions s'évanouirent, les vérités restèrent.

Buckingham, mignon de Jacques, et qui troubla les premières années du règne de Charles Ier, a fait plus de bruit dans l'histoire passée qu'il n'en fera dans l'histoire à venir, parce qu'il ne se rattache ni à quelque grand mouvement de l'esprit humain ni à quelque grand vice ou à quelque grande vertu dans la chaîne de la morale.

Buckingham était un de ces hommes comme il y en a tant, prodigue, débauché, d'une beauté fade, d'un orgueil démesuré, d'un esprit étroit et fou, un de ces hommes tout physiques, où la chair et le sang dominent l'intelligence. Le favori se croyait un général, et n'était qu'un soldat. Fanfaron de galanterie à la cour d'Espagne, insolent dans ses prétentions d'amour à la cour de France, et peut-être à celle d'Angleterre, il affectait des triomphes que souvent il n'avait pas obtenus.

Il est néanmoins remarquable que Buckingham brava impunément Richelieu, et que ces terribles parlementaires qui, quelque temps après, traînèrent à l'échafaud un grand homme, Strafford, souffrirent, bien qu'en l'accusant, les insolences d'un courtisan vulgaire. C'est qu'on pardonne plutôt à la puissance qu'au génie : reste à savoir encore si d'un côté Richelieu ne méprisa pas un aventurier, et si de l'autre il n'y avait pas dans le caractère impérieux et déréglé de Buckingham quelque chose qui sympathisât avec le caractère national anglais.

Cet homme fut assassiné (1628) de la main d'un autre homme qui n'était le vengeur de rien : Felton poignarda un extravagant patricien par une extravagance plébéienne.

Buckingham laissa deux fils : le cadet périt au milieu de la guerre civile, dans le parti de Charles Ier : l'aîné, devenu gendre de Fairfax, fut, sous Charles II, le chef de ce conseil connu sous le nom de la Cabale . Célèbre héréditairement par sa passion pour les femmes, il tua en duel le comte de Shrewsbury, tandis que la femme du comte, déguisée en page, tenait la bride du cheval de ce second Buckingham. Aussi désordonné que son père, mais d'un esprit brillant et cultivé, il écrivit des lettres, des poèmes, des satires, et travailla avec Butler à une comédie qui changea le goût du théâtre anglais.

Depuis l'avènement de Charles Ier au trône d'Angleterre jusqu'à la mort du duc de Buckingham, trois parlements avaient été convoqués : le premier ne vota qu'une somme insuffisante pour la continuation de la guerre continentale en faveur des protestants, et le second se montra infecté de l'esprit puritain. Déjà l'Angleterre était partagée en deux grandes factions appelées le parti de la cour et le parti de la campagne.

Charles, après avoir cassé le second parlement, ne tarda pas à être obligé d'en convoquer un troisième (17 mars 1628). Ce parlement posa la première pierre de la liberté constitutionnelle anglaise, en faisant passer la fameuse pétition des droits, bill qui tendait, en vertu des principes de la grande charte, à régler les pouvoirs de la couronne. Les communes furent rendues intraitables par leur victoire, et après des scènes violentes où quelques députés en vinrent aux mains, le roi se vit forcé de les renvoyer.

Buckingham assassiné, le troisième parlement dissous, douze années s'écoulèrent sans qu'aucun autre parlement fût appelé. Le conseil de Charles se composait alors de ministres qui présentaient un contraste et un mélange de mérite et d'incapacité.

Le garde des sceaux, sir Thomas Coventry, joignait à beaucoup d'érudition une éloquence simple et la science des affaires ; mais son caractère intègre manquait de cette chaleur qui crée des amis, et de ces passions qui font des disciples. Peu appuyé à la cour, il vit le mal s'accroître sans en avertir son maître : « Il eut le bonheur de mourir, dit Clarendon, dans un temps où tout honnête homme aurait désiré quitter la vie. »

Sir Richard Weston, premier lord de la trésorerie, avait montré dans un rang inférieur un esprit et un courage qui l'abandonnèrent au degré plus élevé du pouvoir : hautain et timide, prompt à l'insulte, prompt à trembler devant l'insulté, il ne laissa à sa famille qu'indigence et malheur.

Des vertus, du génie même et une grâce particulière faisaient remarquer le comte de Pembroke : on ne lui a reproché que sa passion pour les femmes, à laquelle il sacrifia des moments qu'il aurait dû donner aux adversités de son pays.

Le comte de Montgomery n'avait réussi à la cour que par sa belle figure et ses talents pour la chasse ; on ne l'eût pas aperçu dans un temps ordinaire. Sa médiocrité fut reprochée à Charles : dans les révolutions on fait un crime aux rois de ne pas s'entourer d'hommes égaux aux circonstances.

Un esprit agréable, un savoir universel, étaient le partage du comte de Dorset : il brilla également à la chambre des communes et dans la chambre héréditaire. Malheureusement son caractère fougueux le précipita dans des excès. Brave et passionné, il prodigua son temps à des amours sans honneur et son sang à des combats sans gloire.

Le comte de Carlisle ne profita de la faveur que pour jouir des plaisirs. Il avait aux affaires un talent naturel, qu'il n'employa jamais. Il mourut insouciant, sans avoir été atteint de l'orage qu'il écouta de loin.

Flatteur de Charles dans la prospérité, lord Hollande l'abandonna dans l'infortune ; lâcheté vulgaire, commune à tant d'âmes vulgaires : il devint un des boute-feux du parlement. Quand les factions commencent, elles saisissent au hasard leurs chefs ; elles plongent ensuite dans l'abîme les singes qu'elles avaient pris pour des hommes.

Enfin, l'archevêque de Cantorbéry ferme la liste des conseillers de Charles, dans les temps qui précédèrent les troubles. Il parut à la cour avec cette raideur de caractère qui le rendit incapable de se plier aux circonstances. Haï des grands, dont il méprisait l'art et les moeurs, il n'eut pour se soutenir que l'autorité d'une vie sainte et la renommée d'une intégrité poussée jusqu'à la rudesse. De même qu'il dédaigna de s'abaisser devant la faveur des courtisans, il s'opposa aux excès du peuple, et de la persécution des intrigues il tomba dans la proscription des révolutions.

Charles, appuyé de ce conseil, régna l'espace de douze ans avec une autorité illimitée ; il n'en fit pas un mauvais usage sous le rapport administratif, mais il cherchait en théorie ce qui était devenu impossible en pratique, une monarchie absolue. Du gouvernement absolu au gouvernement arbitraire, la conversion est facile : l'absolu est la tyrannie de la loi, l'arbitraire est la tyrannie de l'homme.

Si l'Angleterre avait voulu souffrir la levée d'un impôt d'ailleurs fort modéré, elle eût vécu sous un assez doux despotisme. Charles avait des vertus domestiques, du courage, de la modération, de la probité ; mais on lui disputait, la loi à la main, tous ses actes : ils pouvaient être bons, mais ils n'étaient pas légaux. Une seule résistance amenait l'emploi de la force et un scandale. Au défaut du pouvoir parlementaire, les conseillers du monarque suscitèrent le pouvoir de la chambre étoilée, dont on augmenta les attributions : fatal auxiliaire de la couronne.

Le jugement rendu contre Hampden (1636) pour n'avoir pas voulu se soumettre à la taxe du shipmoney remua de plus en plus les esprits : une commotion religieuse ébranla l'Ecosse. Par ce concours de circonstances, qui produit le renouvellement des empires, le peuple d'Ecosse et celui d'Angleterre inclinaient au puritanisme au moment même où les évêques voulaient faire triompher l'Eglise anglicane, et prétendaient introduire quelque chose de la pompe catholique dans le culte protestant.

La nouvelle liturgie est repoussée (1637) à Edimbourg. La foule s'écrie : Le pape ! le pape ! l' antéchrist ! le royaume se soulève, et le covenant est signé.

C'est pourtant de cet acte fanatique, mystique, inintelligible, exprimant dans un jargon barbare les idées les plus rétrécies, que sont émanées la liberté, la tolérance et la civilisation constitutionnelle d'Angleterre. C'est ainsi que des horribles comités de 1793 est pour ainsi dire sorti le pacte de notre nouvelle monarchie. Chaque trouble politique chez un peuple est fondé sur une vérité qui survit à ce trouble. Souvent cette vérité est confusément enveloppée dans des mots sauvages et dans des actions atroces ; mais dans les grands changements des Etats les mots et les actions passent ; le fait politique et moral qui reste d'une révolution est toute cette révolution. Quand celle-ci ne réussit pas, c'est qu'elle a été tentée ou trop tôt ou trop tard, en deçà ou au delà de l'époque où elle eût trouvé les choses et les hommes au degré de maturité propre à sa fructification.

Une assemblée générale de la nation écossaise succéda aux premiers troubles d'Edimbourg. L'épiscopat fut aboli (1638), et l'on commença des levées pour soutenir des opinions avec des soldats.

Sir Thomas Wentworth, membre du troisième parlement, avait fortement provoqué dans ce parlement la fameuse pétition des droits, mais lorsque le fondement de l'indépendance constitutionnelle eut été posé, Wentworth devint le soutien de la prérogative royale attaquée, comme il avait été le défenseur de la liberté populaire méconnue. Charles l'avait nommé pair d'Angleterre et vice-roi d'Irlande. Ce monarque, dans les circonstances difficiles où il se trouva engagé, consulta le nouveau lord Wentworth. Ce sujet fidèle donna à son souverain des conseils énergiques. Que sert de recommander la force à la faiblesse ?

Dans toute révolution, il y a toujours quelques moments où rien ne semblerait plus facile que de l'arrêter ; mais les hommes sont toujours faits de sorte, les choses arrangées de manière, qu'on ne profite jamais de ces moments. Au lieu de résister, Charles fit lui même un covenant, comme Henri III avait fait une ligue. Les covenantaires écossais traitèrent de satanique le covenant du roi. Après d'inutiles concessions, le roi réunit des troupes ; lord Wentworth lui fournit de l'argent, et pouvait lui amener une seconde armée : il ne s'agissait que d'avancer ; Charles recula : il conclut une trêve (17 juin 1639), lorsqu'il était assuré d'une victoire.

Bientôt les Ecossais reprirent les armes. Lord Wentworth, créé comte de Strafford, voulait qu'on portât la guerre dans le coeur du royaume rebelle, et qu'on assemblât un parlement anglais : Charles ne suivit que la moitié de ce conseil.

On aurait pu croire que ce quatrième parlement, rassemblé après un intervalle de douze années, éclaterait en justes reproches : Strafford le ménagea avec tant d'habileté, que les communes se montrèrent d'abord assez dociles. Elles étaient divisées en trois partis : les amis du roi, les partisans de la monarchie constitutionnelle, et les puritains : ceux-ci voulaient un changement radical dans les lois et la religion de l'Etat ; ces trois partis furent cependant au moment de se réunir pour voter les subsides. La trahison du secrétaire d'Etat, sir Henry Vane, que protégeait la reine, perdit tout.

Le roi et le parlement, également trompés par ce ministre, se crurent brouillés, lorsqu'ils s'entendaient. Charles, avec sa précipitation accoutumée, s'imaginant qu'on lui allait refuser les subsides, fit pour la dernière fois usage d'une prérogative dont il avait abusé. Il cassa encore ce quatrième parlement (5 mai 1640), lequel devait être suivi de l'assemblée qui brisa à son tour la couronne.

A l'instigation des puritains, les Ecossais, ayant envahi de nouveau l'Angleterre, surprirent les troupes du roi à Newborn. Charles, arrivé à York pour repousser les Ecossais, manda un grand conseil des pairs. Il lui déclara tout à coup que la reine désirait la réunion d'un cinquième parlement.

Arrêtons-nous ici pour parler de cette reine dont l'influence fut si grande sur la destinée de Charles Ier son mari, et sur celle de Jacques II son fils.





◄   I III   ►