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où elle n’avait pu arriver qu’après avoir frappé violemment contre le mur et avoir rebondi. En conséquence je fis vœu de ne pas sortir de ma maison le lendemain. Les circonstances favorisaient mon vœu, car c’était jour de fête et je n’avais pas de malade. Le matin arrivent quatre ou cinq de mes élèves en compagnie de Zaffiro[1] ; et ils me demandent d’assister à un dîner où tous les professeurs de l’université et les membres les plus distingués de l’académie seraient présents. Je répondis que je ne pouvais pas. Sachant que je ne déjeunais pas et pensant que c’était là le motif de mon refus, ils dirent : « Par égard pour vous, nous avons retardé ce repas jusqu’au dîner. » Je répondis de nouveau : « Je ne peux absolument pas. » Ils s’informèrent du motif. Je racontai le prodige et mon vœu, tous s’étonnèrent, mais d’eux d’entre eux se jetèrent un coup d’œil inquiet. Ils me prièrent à plusieurs fois de ne pas troubler par mon absence un repas si solennel ; je maintins ma première réponse. Environ une heure après, les voilà de retour pour insister encore plus. Je répondis que je ne voulais pas enfreindre mon vœu (126) et que j’étais absolument décidé à ne pas sortir de chez moi. Le soir pourtant, le ciel étant couvert, j’allai visiter un de mes malades, un pauvre boucher, ce qui ne m’était pas interdit par mon vœu. C’est ainsi que je restai en proie à une inquiétude continuelle jusqu’au moment où je quittai ma patrie. Aussitôt après mon départ, le renard fut choisi par le Sénat pour me remplacer dans ma chaire, il sauta de joie de l’avoir obtenue. Mais que sont les espérances des mortels ! Il avait à peine tenu trois ou quatre leçons qu’il fut, à ce que j’appris, atteint d’une maladie qui dura environ trois mois et dont il mourut, tout baigné de crimes. Plus tard, en effet, je sus que l’un de ses domestiques, qui devait servir à boire pendant le banquet, était complice de son projet. La même année, Delfino mourut[2] et, peu après, Fioravanti. Il en fut de même pour autant de médecins, quoiqu’un peu plus tardivement, dans les intrigues forgées contre moi à Bologne : ceux-là moururent qui poursuivaient la perte de mon âme. Si pourtant Dieu avait consenti, voilà la récompense que, après tant de malheurs dont j’avais été affligé, j’aurais reçue pour les bienfaits sans cesse prodigués par moi au genre humain. J’avais appris à me garder d’accidents de ce genre grâce à l’exemple de mon oncle Paolo, qui (127) était mort empoisonné, et à celui de mon père qui avait absorbé deux fois du poison, y avait échappé, mais avait perdu ses dents.

  1. Filippo Zaffiro, de Novare, professeur à l’université de Pavie où il enseigna d’abord la dialectique et la philosophie. À partir de 1562 nous le trouvons ad lecturam Medicinae Theoricae ordinarius. Il meurt en 1563 (Mem. e doc. di Pavia cités, p. 173). Cf. aussi chap. XIV n. 3.
  2. Giulio Delfino, de Mantoue, figure sur les rôles de l’université de Pavie d’abord ad lecturam Medicinae Theoricae extraordinarius unicus, puis à partir de 1562 ad lecturam Medicinae Theoricae primus, c’est-à-dire avec le titre qu’avait porté Cardan jusqu’à son départ ; il le garde jusqu’en 1564, qui semble être l’année de sa mort (Mem. e doc. cités, p. 125 et 127). Cf. Introduction n. 13.